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Arrivés avec le soleil ce matin à Fort-de-France, Charlie Dalin et Paul Meilhat prennent la deuxième place de cette Transat Jacques Vabre. Météo atypique, parcours inédit, bataille acharnée, ils reviennent sur l’expérience partagée ces 18 derniers jours.

Charlie, as-tu vraiment dit que tu ne partais pas pour faire second ? 

Charlie Dalin : « C’est vrai que l’objectif était d'aller chercher le doublé mais on sait comment se passent les transatlantiques alors nous sommes partis avec beaucoup d’humilité. Pour gagner une course, il faut que tous les ingrédients soient réunis avec un bateau fiable et qui aille vite, être inspiré en termes de stratégie, une bonne météo... Et la course au large n’a pas de recette qui fonctionne à tous les coups ! Les bateaux ont des performances différentes selon les conditions. La course a été intense et nous sommes heureux de terminer à cette place, après une bagarre serrée avec LinkedOut et Charal. »

Lequel des deux bateaux craigniez-vous le plus au départ ?

CD : « LinkedOut est un bateau assez proche d’APIVIA, avec des différences de carène et de structure mais les deux bateaux sont des plans Verdier. 

Les configurations de voiles sont différentes et c’est un bateau rapide. 

Avec APIVIA, nous avons découvert des performances que nous ne connaissions pas au portant VMG, une allure où nous étions d’habitude plus rapides que lui. Au reaching, nous sommes plus rapides que LinkedOut mais il y en a eu très peu par rapport à des conditions « normales » de Transat Jacques Vabre. Les foils de LinkedOut sont plus typés pour ces allures. Ils ont trouvé les clefs pour aller très vite dans ces conditions. Tous leurs coups sont passés, ils ont très bien navigué. »

Paul Meilhat : « Avec Charal, c’était l'inverse, quand nous étions au contact, nous avions ce petit plus de vitesse. »

CD :  « Charal est un bon bateau et un bateau abouti. J’étais surpris qu’il ne soit pas cité dans les pronostics de podium avant le départ. »

Vous parlez de conditions météo exceptionnelles mais le petit temps fait aussi partie de la régate. Est-ce que l’on n’a pas tendance à l'oublier ? 

CD : « Oui cela fait partie de la régate mais c’est rare quand même ! J’ai toujours voulu des bateaux polyvalents. Mais là, c’était des conditions peu communes. Nous avons pris un ris au départ, puis un ris au Cap Finisterre pendant quatre heures. Et ensuite la grand-voile a passé sa vie en tête, jusqu’à l'arrivée ! »

C’est là qu'on voit que vos bateaux sont faits pour faire le tour du monde et sont peut-être moins adaptés aux transat sur ce type de parcours ?

CD : « Non… Je ne pense pas. Ce sont des bateaux qui sont faits pour plus de vent, sur des fourchettes de 15 à 18 nœuds. » 

PM : « Là ; nous avons plutôt navigué dans 10-12/13 nœuds...

CD : « Le bateau était sous J0 pendant toute la traversée du Pot au noir, et nous n’avons presque pas manœuvré fois dans la zone. Et ensuite, nous sommes aussi habitués à des arrivées aux Antilles avec l’alizé, qui était cette fois aux abonnés absents. On a l’impression d'avoir passé dix fois le Pot-au-noir avec beaucoup de passages dans des zones de vent faible et de transition. »

Que pensez-vous de ce parcours ?

PM : « Au début, on trouvait ça bien … Le passage de la zone interdite pour longer Brésil était assez long, avec beaucoup d’empannages. C’était un peu dommage. »

CD : « Il ne s’est pas passé grand-chose en termes de stratégie, à part des empannages sur 2000 milles. »

PM : « Le combo entre cette partie d’empannages et le fait de naviguer plus d'une semaine dans la zone intertropicale était éprouvant physiquement. Nous n’avions pas forcément réalisé qu’avec cette course proche de l’équateur, nous resterions dans une zone très chaude, instable avec des grains, pendant aussi longtemps.»

Quatre classes et trois parcours, vous avez suivi les autres classes ? Que pensez-vous des arrivées tardives des Class 40 ?

PM : « Avant le départ, d’après les statistiques, nous avions peur que les Class40 arrivent les premiers. Le pari que tout le monde arrive en même temps est finalement à moitié réussi...»

Vous avez pris la tête très vite. Vous étiez les premiers à chaque grande étape du parcours mais ça revenait par derrière. Comment l'avez-vous vécu ?»

CD : « Nous aurions bien aimé garder cette place ! C'était un peu frustrant.

Après l’empannage vers Madère, nous avons réussi à rattraper un front, et puis chacun s’est retrouvé avec des forces et des directions de vent différentes. Nous nous sommes fait rattraper. 

Ensuite, les trois bateaux se sont retrouvés bord à bord au sud des Canaries et puis c’est vraiment parti par devant le long de la zone interdite.

On a toujours envie d’être devant avec des conditions qui permettent de faire le break mais ça ne marche pas toujours ! 

Justement entre les Canaries et le Cap Vert, nous avons pu noter trois stratégies différentes. Comment vous avez pris votre décision stratégique ? »

CD : « Le vent de sud qui arrivait était assez inédit. Les prévisions étaient différentes de ce que les fichiers montraient et cela nous paraissait dangereux d'aller autant à l’est.

Nous avons réussi à nous rattraper au niveau du Cap Vert avec une bonne idée de Paul d'aller exploiter une zone d’accélération de vent qui n’apparaissait pas sur les fichiers.

Nous avons quelques transatlantiques à notre actif avec Paul, mais c’était la première fois que nous passion au milieu des Canaries. Comme disait Nicolas Lunven « On traverse l'Atlantique par la route touristique » ! »

Charlie, quel est ton programme des prochaines semaines ?

CD : « Je vais me concentrer sur le travail de conception d’APIVIA 2. J’ai pas mal d’idées qui me sont d’ailleurs venues pendant la course.

Tu as choisi l’architecte qui signe pour l’instant tous les bateaux des vainqueurs dans les trois catégories arrivées, qu’est-ce qui démarque Guillaume Verdier des autres ? »

CD : « Guillaume a une vision particulière et une bonne équipe derrière lui. Il travaille dans de grandes équipes, notamment chez Team New Zealand avec un gros design team, des gens très qualifiés et il est naturellement très passionné.

Je passe des heures au téléphone avec lui, à parler de carène, foil, structure...»

Qu’est-ce qu’il aura de différent ce futur bateau ?

CD : « J’aime les bateaux polyvalents. L’un des axes de progression porte sur le portant VMG.»

Quel bilan tires-tu de cette année 2021 (Charlie et Paul sont les Champions IMOCA de l’année) ?

CD : « C’était plutôt une bonne année ! Le projet a été lancé en 2019 et a débuté avec une victoire sur la Transat Jacques Vabre.

Depuis, nous ne sommes jamais descendus plus bas que la seconde marche du podium et n’avons pas vécu d’abandon. 

J’ai une super équipe autour de moi et j’ai été très bien accompagné par Paul, avec qui nous avons beaucoup navigué ces derniers mois. » 

Parlez-nous l’un de l’autre ! 

PM : « Cela fait plus de six mois que l'on travaille ensemble avec Charlie. J’ai pu partager sa volonté de vouloir gagner tout le temps, qui se transforme en abnégation de ne rien laisser au hasard. Il est très minutieux. Même quand tout va bien, il va chercher quelque chose pour aller plus vite ! C’est très fatigant de naviguer avec Charlie, mais on ne fait pas des transats pour se reposer (rires). »

CD : « Avec Paul, c’est toujours très positif et ça va toujours. Il n’est jamais déstabilisé quand on rate une option, contrairement à moi. 

Il arrive à faire preuve de plus de détachement que moi par rapport aux prévisions météo, en allant chercher un effet de site par exemple, qui n’est pas visible sur les fichiers. Il navigue un peu plus au feeling que moi. 

C’est aussi le roi de la manœuvre, nous avons fait des changements de voiles incroyables ! 

A chaque fois que j'ai navigué en double j'ai progressé avec Gildas Morvan, Yann Eliès, Armel Le Cléac’h, Franck Cammas… Les duos permettent de s’enrichir. » 

PM : « L’une des grandes forces de Charlie c’est aussi qu’il aime garder une emprise mentale sur ses adversaires... Ne pas tout dire, même à moi. J’ai vite compris cela et cela ne me dérange pas du tout. J’ai respecté. »

Paul, tu as suivi le départ de ton père qui courrait sur la Mini Transat EuroChef ?

PM : « C’était compliqué, je n’ai pas vraiment eu le temps de suivre la course ni d’avoir de liens avec ma famille et mes amis. 

Il a pris une option un peu trop nord c’est ça ? J’ai vu les photos de l’arrivée, et finalement c'était ça le plus important. Il est allé au bout de son projet. »