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Ce dimanche 10 novembre, à 1h 23mn 00s (heure française), Charlie Dalin et Yann Eliès ont franchi la ligne d’arrivée de la 14e édition de la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre en première position de la catégorie IMOCA. Le duo aura mis 13 jours 12h 08mn et 00s pour parcourir les 4 350 milles théoriques, mais il a réellement parcouru 5062 milles à 15,62 nœuds.

Souvent cités parmi les favoris, Charlie Dalin et Yann Eliès semblaient cocher toutes les cases au départ du Havre. Duo complémentaire, complice et éprouvé (Charlie et Yann ont déjà participé ensemble à la Route du café en 2015), ils embarquent sur un foiler de dernière génération qui a impressionné aux entraînements en septembre. Charlie est talentueux, Yann tenant du titre… Mais Apivia qui a été mis à l’eau au mois d’août n’a que 3000 milles dans ses foils. Le plan Verdier semble bien né mais tiendra-t-il la cadence face au référent Charal et au milieu d’une meute de nouveaux foilers et d’anciens très bons IMOCA ?

La réponse tombe assez vite. Après un départ prudent, Apivia sort dans le bon paquet de la Manche à 100% de ses capacités. Au passage du front de la dépression Pedro, il vire de bord avec un groupe emmené par Initiatives-Cœur, cap au Sud. Le leader Charal hésite et se recale au cap Finisterre alors qu’un groupe de cinq IMOCA s’entêtent dans l’ouest. La bascule qu’ils vont chercher se révèlera quatre jours plus tard une chimère.

Le 30 octobre à 20 h 00, Apivia prend les rênes de la course au sein du groupe majoritaire de l’option Sud. Au près, le plan Verdier semble très véloce et creuse une petite avance à l’approche des hautes pressions de Gibraltar. Le premier novembre en fin de matinée, une incroyable vidéo tombe sur le serveur de la course. Charlie et Yann filment Charal voletant à leur vent, 2 à 3 nœuds plus rapide dans les conditions légères que le foiler noir affectionne particulièrement. Aveu de faiblesse d’Apivia peut-être, mais beau moment de vérité à l’entrée dans l’alizé. Charal reprend la tête et ne va pas la lâcher jusqu’au Pot-au-noir, creusant mille après mille son avance. Elle culmine à 120 milles le 5 novembre à midi. Personne ne peut imaginer à ce moment le scénario catastrophe qui attend le foiler noir. Charlie Dalin et Yann Eliès ont l’intuition de se décaler dans l’est. Nettement moins ralentis même si le Pot-au-noir est copieux pour tous cette année, ils ressortent le 7 novembre du tunnel et cavalent déjà à 15 nœuds. Le deuxième n’est plus Charal mais Banque Populaire à 225 milles derrière… Le grand bord de 1000 milles dans l’alizé de sud-est n’est plus qu’une formalité et Apivia réalise un coup de maître en entrant en vainqueur dans la Baie de Tous les Saints.

Cette 14ème Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre était la première grande épreuve à mêler autant de générations de 60 pieds, à un carrefour de l’histoire de l’IMOCA. De plus en plus complexes, les foilers réclament culture technique et feeling. L’alliance générationnelle de Charlie Dalin et Yann Eliès a fait merveille, avec le brin de réussite qui sied aux vainqueurs. Des vainqueurs qui se sont visiblement bien amusé ce qui ne gâche rien.

C’est le troisième succès dans la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre pour Yann Eliès (2013 en Multi50, 2017 en IMOCA), la première victoire pour le Havrais Charlie Dalin.


Les déclarations des vainqueurs

Quel est votre ressenti ?

Charlie Dalin : « C’est la plus belle de mes victoires : c’est la course avec laquelle j’ai grandi au Havre.  On est ému, heureux, on ne se rend pas totalement compte de ce qu’on a fait, je pense. Il y a plein de choses. De la joie, la concrétisation d’un rêve d’enfant, mais c’en était déjà un de naviguer avec Yann en 2015. C’en était un autre de devenir skipper Imoca. Je ne pouvais pas faire mieux que remporter ma première course en tant que skipper Imoca, première étape d’un programme de quatre ans avec APIVIA. Il y a 20 ans, j’allais sur les pontons du Havre à la sortie du collège pour aller voir les bateaux en partance. Alors, la remporter avec Yann… »

Yann Eliès : « J’ai navigué avec Paul Vatine sur de petits bateaux, j’ai une pensée pour lui. Mireille, sa femme, était là au départ. Quelque part, je suis la jonction entre deux grands marins havrais, et j’en suis très heureux. »

Que représente cette victoire pour chacun de vous ?

Charlie Dalin : « On a une super équipe, montée par Antoine Carraz, le directeur technique depuis le début. Et c’est grâce à leur engagement, leur implication qu’on a gagné. Le sprint a débuté le 5 août, et le bateau était fonctionnel une semaine après sa mise à l’eau. On doit beaucoup à MerConcept, qui a créé des compétences transverses entre le trimaran MACIF et le monocoque APIVIA. C’est une performance de mettre au point si vite des bateaux si complexes. » 

Yann Eliès : « C’est un grand plaisir de la gagner avec Charlie. Déjà, en 2015, en faisant 3e, on avait signé une belle course. C’est ma troisième victoire, et c’est un chiffre que j’aime bien puisque j’ai gagné trois Solitaires du Figaro. C’est surtout le travail réalisé en trois mois par l’équipe technique qui est impressionnant. »

Le premier défi fut de choisir entre l’ouest et l’est…

Yann Eliès : « Ce fut une transat très spéciale : c’était plein ouest ou plein est, sans solution de compromis. On s’est bien pris le chou, la route ouest était bien aguicheuse… Quand tu prends des décisions qui vont à l’encontre des logiciels de routage, tu as intérêt à avoir de bons arguments… »

Charlie Dalin : « On a joué au centre le plus longtemps possible, pour ne nous interdire aucun choix jusqu’au tout dernier moment. Quand, après quelques jours, on a vu Charal revenir dans notre route, et qu’on a passé l’anticyclone, on s’est dit que c’était plié pour ceux de l’ouest, et que c’était bon pour nous. Ce n’était pas mal, de passer dans le sud : il y avait beaucoup de bateaux, différents, qui nous ont servi de lièvres et nous ont permis de progresser en vitesse. »


Comment avez-vous vécu ce moment où, entre l’avant et l’après Pot- au-Noir, vous avez gommé 120 milles de retard et pris 140 milles d’avance ? 

Yann Eliès : « Eh bien, c’était un gros « coup de pot » ! »

Charlie Dalin : « L’image que j’ai de notre Pot-au-Noir, c’est qu’à chaque fois qu’un nuage approchait de nous, il passait dans le tableau arrière, et la porte se refermait derrière nous. En se décalant vers le sud, on a fait la course avec les nuages pour essayer de passer juste devant. C’était assez incroyable. Dans le Pot-au-Noir, Yann arrivait à trouver, le nez au vent, la meilleure trajectoire pour échapper au grain tandis que je téléchargeais les fichiers satellites colorés pour voir le développement des nuages. Il y avait du court terme et du long terme, c’était une belle complémentarité. »

Yann Eliès : « On a pensé à Jérémie Beyou et Christopher (embourbés dans le Pot-au-Noir, plus dans l’ouest, ndlr). Sur le début de course, ils étaient les maîtres incontestables. Ils auront sans doute une vision différente, mais je pense qu’on a eu un peu de chance et que leur positionnement n’était pas forcément le bon. Mais c’est toujours bien plus facile de parler quand tu arrives. Franchement, on a eu mal pour eux. »

Charlie Dalin : « Les vents étaient particuliers, et ce n’est jamais facile de faire le bon choix, d’autant qu’on a eu le nez dans le guidon dans le portant qui a précédé. Ce n’était pas simple d’anticiper la suite. En entrant dans le Pot-au-Noir, je me suis dit qu’on allait peut-être reprendre un peu de notre retard, puis qu’on allait peut-être repartir en même temps qu’eux, mais de combien ? »

Yann Eliès : « On allait gagner 50 milles ? 100 ? 250 ??? On ne sait plus vraiment de combien ça a basculé. Et on a du mal à l’exprimer, mais c’était vraiment bon ! (Il rit) ? »
 

Comment pensez-vous avoir maîtrisé l’Imoca APIVIA ?

Yann Eliès : « On ne va pas se mentir, on a parfois eu des difficultés à le faire avancer, à certaines allures. On n’a pas eu toutes les réponses, mais on a cherché, en touchant de tout petits détails. On ne connaît pas les limites du potentiel de ces bateaux. »

Charlie Dalin : « Les conditions n’étaient pas les conditions idéales pour ce bateau. Le départ s’est fait au près, puis on a eu très peu de vent de travers, seulement à la sortie du Pot-au-Noir. Ce n’est pas frustrant : il faut être prêt pour toutes les conditions parce qu’il y a de tout sur un Vendée Globe. »

Yann Eliès : « Et puis on a respecté finalement la requête initiale, puisque notre premier objectif était d’additionner des milles et d’arriver de l’autre côté ! »


Comment était la vie à bord d’APIVIA, notamment avec la casquette fermée ?

Charlie Dalin : « Dès qu’il y a du vent, on n’a pas le choix : mieux vaut rester sous la casquette. Dès que ça baissait, on essayait de regarder le ciel, les oiseaux et la mer, mais il faisait vraiment chaud ! Je me demande encore comment j’ai fait mon sac. Au Cap Finisterre, on était déjà en short, et j’avais pris de quoi gravir l’Everest ! »