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Se pourrait-il que la partie la plus exigeante de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe pour les solitaires de cette grande classique ne soit pas la navigation – et notamment le début de course - mais le défi des 10 jours de préparation à Saint-Malo ?

Les habitués de ce festival quadriennal de la voile vous diront que la pression sur les skippers est incessante, car ils doivent faire face à l'affluence du grand public qui vient voir la flotte avant le départ, aux demandes des médias, à celles de leurs partenaires et invités, au temps passé avec la famille et les amis et aux exigences des organisateurs de la course.

Cette semaine, la foule s'est massée au-dessus du ponton IMOCA où pas moins de 38 monocoques de 60 pieds - un record historique – sont préparés pour la transat qui s’élance le 6 novembre. Et les skippers sont très occupés.

Romain Attanasio, skipper de Fortinet-Best Western, 45 ans, a l'un des plus gros programmes de sponsoring de la flotte pour sa deuxième Route du Rhum et le public l'aime aussi, ce qui lui laisse peu de temps pour sa propre préparation. 

"C'est complexe parce que nous devons partager notre temps entre regarder les prévisions météorologiques avant le départ, travailler avec l'équipe sur le bateau et toutes les choses que nous devons faire avec nos partenaires, pour l'organisation de course et le public", confie-t-il. "Nous sommes toujours très sollicitiés sur les pontons donc le plus difficile pour moi sur ces 10 jours est de se concentrer et de rester concentré sur la course."

Certains skippers, notamment ceux basés en Bretagne Sud, peuvent rentrer chez eux au milieu de la période du village et recharger leurs batteries, mais Romain n'aura pas ce luxe. "Mon partenaire Fortinet a un pavillon ici avec des invités importants. Chaque jour, nous faisons visiter notre bateau, nous échangeons beaucoup et c’est génial. Je dois aussi faire du sport tous les jours, essayer de trouver le temps d'aller courir..."

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Pour le Suisse Oliver Heer, à la barre de son IMOCA Oliver Heer Ocean Racing, un plan Farr de 2007 - l'ancien bateau de Romain Attanasio - ce sera sa première transatlantique en IMOCA et sa première Route du Rhum en tant que skipper. Mais pour avoir été pendant longtemps le bras droit du Britannique Alex Thomson lors de ses campagnes Hugo Boss, il sait à quoi s'attendre à Saint-Malo.

"Je sais ce qu’il se passe ici, mais je n'ai jamais été dans cette position de skipper, cela a donc été un grand contraste pour moi après avoir fait une dernière session d'entraînement au large avant d’arriver à quai et de retrouver la foule. Nous avons déjà fait beaucoup de visites de bateau, nous avons des sponsors qui viennent, des amis et de la famille", explique-t-il.

Désormais basé à Port La Forêt, l’homme de 34 ans, né au Royaume-Uni, ne se plaint pas du temps qu'il prend avec tous ses engagements à Saint-Malo. Pour lui, il s'agit d'une partie essentielle de la gestion d'une équipe de voile professionnelle. "C'est un moment important pour nous", déclare-t-il. "C'est notre temps pour promouvoir notre campagne et le sport en général et il est important de venir montrer tout cela au public. Si nous ne sommes pas accueillants et que nous sommes une bande de marins introvertis, ça ne sera pas sain pour notre sport. Ces dix jours sont très importants et nous avons un réel rôle à jouer ici."

Le skipper suisse est déterminé à s'amuser et c'est même pour lui, le secret de la réussite à Saint-Malo. "Si vous aimez ce que vous faites ici, vous n'avez pas vraiment besoin de vous imposer un rythme", déclare-t-il. "Vous devez avoir l'état d'esprit qui vous permet de passer un moment agréable parce qu'il n'y a pas beaucoup de courses aussi importantes que la Route du Rhum entre deux Vendée Globe, donc nous devons profiter de chaque instant ici."

Sam Davies court en IMOCA depuis longtemps mais c'est étonnement que sa deuxième Route du Rhum. Lors de sa seule autre participation, en 2018, son bateau avait subi des dommages structurels et elle avait dû abandonner. Sam est la figure de proue de la remarquable association Initiatives-Cœur et elle a probablement plus de visibilité en tant que skipper IMOCA que presque tout le monde dans la Classe.

Tous les jours, à Saint-Malo, elle met beaucoup de temps à se rendre à son bateau, s'arrêtant régulièrement pour répondre aux demandes d'autographes ou de photos, voire les deux. "C'est assez fou ici", admet-elle en riant. Mais comme Oliver, Sam n'a aucun problème avec cette partie de son travail et la considère aussi importante que le côté sportif de sa carrière.

"C'est l'échange pour moi - avoir un bateau vraiment cool et pouvoir faire des courses - et aussi soutenir une association caritative au niveau où nous le faisons, tout cela fait partie de l'accord", déclare-t-elle. "Vous devez juste accepter que cela va arriver et faire le maximum de ce que vous avez à faire avant d’arriver ici".

"Je sais", ajoute-t-elle, "qu'entre le jour où nous arrivons et celui où nous prenons le départ de la course, nous avons à peine le temps de monter sur notre bateau, donc tout doit être prêt et vous devez connaître un maximum du fonctionnement de votre IMOCA avant d'arriver sur le village."

Comme beaucoup d'autres skippers, Sam Davies n'aura pas beaucoup de temps pour s'évader avant la course. "C'est parce que c'est une semaine très importante pour la réussite de notre projet, pour les sponsors et l'association caritative", dit-elle. "Il n'y a donc pas que le public, nous avons aussi beaucoup d'invités de nos partenaires qui viennent tous nous rendre visite. Et je suis supposée être sur le bateau en ce moment, à rencontrer les invités. Mon équipe y est à plein temps, elle emmène les gens, leur fait visiter le village, le bateau, les accompagne aux cocktails, le midi et le soir... et j'essaie d'assister à un maximum d'entre eux."

L'objectif de Sam et de ses 37 rivaux en quête de gloire à Pointe-à-Pitre est de prendre le large sans se sentir épuisés par ces exigences. Romain Attanasio admet que les dernières 24 heures avant de larguer les amarres sont à la fois les plus agréables et les plus intenses.

"La veille du départ, il y a le stress qui monte et votre âme est déjà dans la course, mais vous êtes toujours là à faire plein de choses très différentes", confie-t-il. "Pour moi, le meilleur moment, c'est juste après le départ, quand vous avez franchi la ligne et que vous pouvez vous dire : 'alors OK, je suis un marin et je vais faire maintenant de mon mieux, pour bien naviguer jusqu’en Guadeloupe'."

Ed Gorman (traduit de l’Anglais)