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A la veille du départ de la Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne s’est déroulée une drôle de journée, rythmée par le protocole sanitaire imposé par l’organisation, et un convoyage pour tous les bateaux de la flotte pour un départ qui, samedi, se jouera loin du public. Une situation un peu étrange, mais le sport a repris !

Ce vendredi 3 juillet restera comme une journée pas comme les autres, dans une période sans précédent. Il aura été question de départ de ponton une veille de course, de tests médicaux et de masques de protection, d’impatience sans euphorie, de reprise inespérée et – finalement – bien plus précoce que redouté. Cette veillée d’armes aura eu le goût de la reconquête de la liberté, à force de volonté. Elle aura été marquée par la cohésion d’une Classe IMOCA portée par l’impérieuse nécessité de présenter une flotte en parfait état de fonctionnement le 8 novembre prochain, dans le chenal des Sables d’Olonne, pour le Vendée Globe.

Dans 24 heures, la flotte prendra le départ de la Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne mais, en ce vendredi 3 juillet, les skippers solitaires ont quitté le ponton en équipage, depuis leur port d’attache. A Port-la-Forêt, La Trinité-sur-mer, Lorient, Les Sables d’Olonne, La Rochelle, le même rituel huilé et contraint s’est mis en place : avant de rejoindre le bateau à deux, trois ou quatre navigants, tous ont passé un test PCR, celui qui permet de savoir en moins de 24 heures si le patient est porteur du virus Covid19 ou non.

VMF 0363© François Van Malleghem / Imoca


A Lorient, c’était l’effervescence, puisque la moitié de la flotte de la Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne y siège ou y a fait halte. Dans un hangar était installé un espace médical de campagne (une table, deux chaises). Deux biologistes, un infirmier et le médecin officie de la course, le docteur Thierry Charland, médecin officiel de la course, y ont accueilli les skippers et leurs teams, déjà testés en début de semaine. « Nous avons rendu obligatoire ce test avant le départ pour les skippers et les équipiers qui vont faire le convoyage, pour être certains que tout le monde est négatif, explique Thierry Charland (Association Médicale Course au Large). Il est essentiel aussi de s’assurer de la préservation de la chaîne de secours en cas d’avarie, avec des marins qui ne sont pas contaminés. »

Un problème ? 

Pas de problème, assure Giancarlo Pedote, le skipper de Prysmian Group : « C’est important de passer ces tests, pour nous, mais aussi pour les autres. Nous faisons un sport à péripéties, et il faut pouvoir dire, au moment de débarquer éventuellement dans un autre port que notre port d’attache, que nous sommes sains ». Les résultats, le skipper italien et les autres les auront aux alentours de midi, ce samedi, soit 3h30 avant le départ de la course.

Même ambiance, donc, à Port-la-Forêt, mais en plus feutré. Le long du port de plaisance, quatre IMOCA patientent avant de rejoindre le large. APIVIA, Groupe APICIL, ARKEA PAPREC, PRB et V and B-Mayenne, et les équipes, sacrifient au même protocole. Idem à la Trinité-sur-Mer avec L’Occitane en Provence et Newrest-Art & Fenêtres, aux Sables d’Olonne avec Groupe SÉTIN et La Mie Câline-Artisans Artipôle, et à la Rochelle avec Maître CoQ IV et Vers un monde sans Sida. Tous espèrent que ce dispositif ne deviendra pas rituel, mais il s’est révélé si convaincant que la course au large française a obtenu le droit de reprendre la compétition en avant-première.

 



Antoine Mermod, Président de la classe IMOCA : « L’histoire de ce départ très inhabituel débute le 19 mars quand on a rangé le tapis rouge qui nous menait au Vendée Globe. Il a alors fallu tracer à la place une allée de graviers, et tout remettre d’aplomb. La grande qualité des marins, c’est la résilience : surmonter les tempêtes et repartir de plus belle à la sortie, c’est leur mode de vie. On a vu le programme initial s’effondrer, on a réfléchi, et on est reparti. Retrouver la compétition fut difficile, parce qu’il a fallu obtenir beaucoup d’autorisations, mais le degré de confiance qui unit les membres de la Classe IMOCA a permis de lever toutes les barrières en faisant accepter à tout le monde ces protocoles sanitaires contraignants et nécessaires ».

VMA 3234© François Van Malleghem / Imoca

Une course sans village

Arriver dans le port de départ à une date déterminée ; laisser le bateau à quai et le proposer à la curiosité des badauds et des amoureux de voile ; partager du temps avec les partenaires, la presse, le public, et partir enfin, après une, deux voire trois semaines d’immobilisation. C’est ça, généralement, un départ de course. Sauf cette année. Pour certains marins, cette course sans village provoque une perte de repères dans des protocoles mentaux soigneusement élaborés. Pour Maxime Sorel (VandB – Mayenne), « Il manque le boost du partage avec le public, mais je sais que je vais partir reposé ».

Rien n’étonne Giancarlo Pedote (Prysmian Group) : « Notre métier est l’histoire d’une adaptation permanente, aux situations météo, aux situations de course. Envisager un plan, le remettre en question, en dessiner un autre et agir, c’est ce qui fait qui nous sommes. Ce n’est pas si gênant, pour se projeter dans la course, de ne pas avoir vécu la période « village » comme habituellement. De toute façon, ça fait déjà une semaine que je suis dans la course ».

Samantha Davies (Initiatives-Cœur), elle, va profiter à fond des heures qui s’annonçaient à elle, sur son bateau, en attendant les procédures de départ : « Nous serons quatre personnes à bord dont Paul Meilhat, qui m’épaule sur le projet. Je suis contente d’avoir 24 heures pour me concentrer pleinement sur la course, car cette semaine j’avais plutôt le rôle de maman à la maison, seule avec mon fils. Je vais ainsi pouvoir bien tout contrôler, me reposer et me mettre en mode skipper ».

Thomas Ruyant (LinkedOut) a aussi son programme pour occuper ces 24 heures de patience : « Je vais beaucoup regarder la météo, je vais également en profiter pour bien me reposer, bien manger. On va tester deux trois petites choses sur l’eau, peaufiner les derniers petits détails. Il y a un peu d’excitation, une petite boule au ventre aussi, un peu comme à chacun départ. J’ai le sentiment d’avoir bien fait les choses jusque-là, je sais que j’ai une super équipe derrière moi, un bon et beau bateau, j’ai de l’énergie, je vais faire les choses bien dans la continuité de tout ce qu’on a fait depuis deux ans ». Jérémie Beyou (Charal), n’est jamais à court de bonnes idées : « Le Pôle Finistère Course au large nous prépare un briefing météo pour demain matin. Nous partons mouiller le bateau du côté de Belle-Île, dans un coin où il y a du réseau, pour profiter des dernières analyses de Jean-Yves Bernot ».

A La Trinité-sur-Mer, on ne le jurerait pas, mais l’ambiance aurait pu être au champagne au moment de voir partir sur l’eau L’Occitane en Provence. Il n’y a pas deux semaines, l’IMOCA d’Armel Tripon était heurté par un objet flottant non identifié. Bilan : un trou monstre dans l’étrave et un chantier gigantesque pour renvoyer le skipper nantais sur l’eau. Opération réussie !

Calme branle-bas de combat aux Sables d’Olonne

Aux Sables, la direction de course travaille aussi dans une ambiance particulière, « comme si l’absence de la routine coupait l’émulation habituelle, dit Gwen Chapalain, le responsable de l’organisation. C’est une construction intellectuelle un peu spéciale ». Les skippers locaux, Arnaud Boissières (La Mie Câline – Artisans Artipôle) et Manuel Cousin (Groupe SÉTIN) devaient remonter le chenal des Sables d’Olonne en début d’après-midi pour aller, eux aussi, patienter au large en espérant croiser la route de Yannick Bestaven (Maître-CoQ), qui vient de La Rochelle. « C’est vrai que c’est une drôle d’ambiance, s’amuse Arnaud Boissières. Il n’y a pas beaucoup de monde, c’est étrangement calme. On se met dans le bain de la compétition plus tard que d’habitude ».

DSC 2002© C. Favreau

Certes, mais tout existe : l’événement sportif, qui recèle mille enjeux ; la course, qui va mobiliser 130 bénévoles venus assurer la bonne tenue du départ, en mer comme à terre ; 20 skippers et leurs équipes techniques, logistiques et de communication sont à pied d’œuvre pour affronter une course en solitaire de 3556 milles qui va les envoyer au sud de l’Islande avant de les faire descendre vers les Açores, et qui promet un scénario sportif complexe et haletant. Tout existe et c’est déjà une belle victoire. Kojiro Shiraishi (DMG Mori), la cinquantaine flamboyante et le recul qui l’accompagne, salue la performance : « J’espère que ce sera un pas important pour notre sport. C’est aussi un message d’espoir que la Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne ait lieu ». Comme l’a joliment dit un autre organisateur d’événements sportifs : « Il y aura moins de monde, oui, mais il y aura tout autant de sourires ».