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À 29 ans, la navigatrice française Élodie Bonafous s’apprête à franchir un cap majeur dans sa carrière.

Après s’être fait remarquer par ses performances solides dans la très exigeante classe Figaro, elle fait cette année son entrée dans l’univers prestigieux de l’IMOCA. Et pas n’importe comment : elle prendra les commandes d’un sistership flambant neuf du plan Verdier, le même design que celui du bateau vainqueur du dernier Vendée Globe avec Charlie Dalin. Impatiente de relever ce nouveau défi, Bonafous nourrit de grandes ambitions. Inspirée depuis toujours par Ellen MacArthur, figure emblématique de la course au large, elle espère marcher dans les pas de son héroïne et marquer à son tour l’histoire de la voile en solitaire.

Comment se passe ce début de projet ?

Ces dernières semaines ont été particulièrement intenses. Nous avons réceptionné le bateau, quasiment prêt à naviguer, grâce au travail de MerConcept (le chantier du bateau, NDLR). Il restait encore des finitions à réaliser pour le configurer pleinement et le rendre opérationnel. Parallèlement, il a fallu constituer et rôder une toute nouvelle équipe, apprendre à travailler ensemble et trouver nos repères. C’est vraiment la grande priorité du moment.

La semaine dernière, nous avons effectué nos premières navigations, avec trois sorties en mer. Nous avons progressivement monté en puissance : d'abord avec peu de vent, puis dans des conditions plus engagées. Et c'était incroyable! (rires). Une expérience intense, avec des navigations superbes et une pointe de vitesse à 30 nœuds. Pour moi, c’était une première prise en main du bateau, et l’enthousiasme était au rendez-vous. Après plusieurs mois consacrés à la préparation à terre, à la gestion de projet et aux aspects plus théoriques, on entre enfin dans le concret.

L’objectif désormais est d’optimiser au maximum notre temps de navigation au cours des deux à trois prochains mois, afin de mieux comprendre le bateau et d’exploiter pleinement son potentiel.

Quel est le programme des entraînements ?

L’objectif principal est de maximiser le temps de navigation, d’accumuler un maximum d’heures sur l’eau. Je suis bien conscient que sur ces bateaux, le temps effectif de navigation reste limité par les contraintes techniques et la préparation nécessaire avant chaque sortie. Heureusement, nous avons l’avantage de ne pas partir d’une page blanche : ce bateau n’est pas totalement neuf, il a déjà été éprouvé, ce qui réduit les risques de problèmes majeurs et nous permet d’enchaîner plus facilement les navigations.

L’idée est de viser au moins deux sorties par semaine, avec trois jours dédiés à la préparation du bateau pour s’assurer qu’il soit toujours prêt à naviguer dans les meilleures conditions. L’enjeu est double : d’une part, apprendre à manier le bateau techniquement, comprendre son comportement et affiner notre prise en main ; d’autre part, établir une "job list" détaillée pour identifier les ajustements nécessaires afin de l’adapter à nos besoins. Ce bateau est issu du même design que celui de Charlie (Dalin), mais il doit être optimisé en fonction de mes propres sensations et attentes.

Pour l’instant, la priorité absolue, c’est d’être sur l’eau, de tester, d’analyser ce qui fonctionne ou non, et de faire évoluer le bateau en conséquence. Plus tard, nous entrerons dans une phase de préparation plus spécifique, en vue des premières échéances de course.

Quelles sont tes premières sensations en navigation ?
C’est une chance incroyable ! Dès les premières navigations, tout a parfaitement fonctionné. Aucun problème majeur n’est venu perturber nos sorties, et aujourd’hui, seuls quelques détails restent à peaufiner. C’est exactement pour cette raison que nous avons choisi ce bateau et ce chantier : pouvoir naviguer sereinement dès le début. À chaque sortie, on apprend énormément et on progresse à grande vitesse, sans être freinés par des soucis techniques.

Et en termes de sensations… c’est juste fou ! La première sortie, avec 10 à 12 nœuds de vent, on avançait à 15 nœuds et j’avais déjà l’impression d’aller très vite. Je me suis dit : "Quand on va doubler cette vitesse, ça va être quoi ?" Et en quelques navigations seulement, on s’habitue complètement aux performances du bateau. Lors d’une sortie, on avançait à 15 nœuds et j’ai eu ce réflexe de me demander : "On n’est pas un peu collés, là ?" (rires).

C’est exactement ce que je recherche : la découverte pure du bateau, ces sensations brutes. Chaque sortie est un apprentissage permanent. J’analyse sans cesse les manœuvres, je réfléchis à la façon d’optimiser chaque réglage. On en est encore aux premières navigations, mais c’est déjà une expérience incroyable.

 

As-tu prévu de naviguer avec Charlie Dalin ?
Pour l’instant, ce n’est pas prévu et nous n’en avons pas encore discuté. Mais si j’arrive à l’embarquer un jour, ce serait génial ! Pas forcément pour récupérer des données précises, mais surtout pour observer sa façon d’exploiter son bateau.

Cela dit, l’équipe de Charlie a été hyper disponible tout au long de l’hiver pour nous accompagner sur les aspects techniques et répondre à nos interrogations. C’est une vraie chance d’avoir ces échanges et ce partage d’expérience.

 

Pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter rapidement ?
Je suis originaire du Finistère Nord, près de Locquirec, et j’ai découvert la voile très tôt grâce à mon père, qui possédait un petit bateau de croisière. Dès mon plus jeune âge, j’ai navigué en famille et j’ai tout de suite adoré ça. Très vite, j’ai eu envie de prendre la barre seule, alors j’ai insisté pour m’inscrire à l’école de voile en Optimist, vers 7 ou 9 ans.

C’est en compétition que la passion est devenue une véritable addiction. J’adorais naviguer, sentir le vent fort, relever des défis. L’esprit de compétition m’a captivée dès le début. J’ai même demandé à mes parents d’intégrer un sport-études voile au collège, mais ils ont préféré que je me concentre d’abord sur mes études. J’ai finalement pu rejoindre un cursus sport-études en dériveur au lycée, puis en 420.

En parallèle, j’ai poursuivi des études en STAPS à Brest, un choix stratégique qui me permettait de continuer à naviguer tout en obtenant un master. Mais mon objectif était clair : je voulais me donner les moyens de faire de la voile à haut niveau. Après des expériences en dériveur, en habitable inshore, en J80 et en match racing, j’ai été confrontée à un dilemme : continuer la voile tout en travaillant, ou me consacrer pleinement à la course au large. C’est là que j’ai décidé de franchir un cap et de tout miser sur la course au large.

J’ai alors postulé à la filière de formation Bretagne CMB, qui ouvrait sa première sélection féminine en Figaro. Avec le recul, cette formation a été une véritable opportunité. La transition après les études peut être compliquée, surtout quand il faut concilier sport de haut niveau et contraintes financières. Grâce à cette chance, j’ai pu me lancer pleinement en Figaro.

Depuis toute petite, la course au large m’a toujours fascinée. Comme beaucoup d’enfants, je suivais le Vendée Globe, mais moi, j’étais totalement captivée. Ellen MacArthur m’a particulièrement marquée, notamment lorsqu’elle a terminé deuxième du Vendée Globe. C’est à ce moment-là que je me suis dit : "Un jour, je veux faire ça." Le Vendée Globe a été mon premier rêve, puis j’ai découvert d’autres courses comme la Solitaire du Figaro.

Quand je suis arrivée en Figaro, c’était avec un objectif clair : performer. Je ne voulais pas simplement être là pour le plaisir, mais vraiment progresser et viser des podiums. Je me suis donné cinq ans pour apprendre, évoluer et m’imposer dans cette classe exigeante.

C’est au cours de ces années en Figaro que j’ai rencontré le Groupe Quéguiner. De nos échanges est née l’idée de monter ensemble un projet en IMOCA. Depuis toujours, l’IMOCA est un rêve pour moi, mais je veux que ce projet ait un vrai sens sportif. Mon ambition n’est pas seulement de participer au Vendée Globe, mais de le faire avec des objectifs de performance clairs.

Je n’avais pas imaginé avoir un bateau neuf, mais je voulais un IMOCA compétitif, capable d’atteindre de belles ambitions. Finalement, la construction d’un bateau neuf s’est révélée être une opportunité qui correspond parfaitement à mes attentes. Aujourd’hui, je suis ravie de mener ce projet avec le groupe Queguiner et de me lancer dans cette nouvelle aventure.

Qu’as-tu mis en place pour atteindre ton objectif de performance ?

Quand je parle de performance, ce n’est pas une question de chiffres. Je n’aime pas fixer un objectif chiffré, surtout pour une première campagne Vendée Globe. Mon ambition, c’est avant tout de construire un projet où l’enjeu sportif est au centre, de me dépasser, d’apprendre et de progresser.

Pour moi, la performance, c’est être en accord avec mon engagement, évoluer au fil du projet et me concentrer sur ma propre progression, sans me comparer aux autres. Cela passe par plusieurs axes de travail, notamment la préparation mentale. Je réfléchis beaucoup à la façon dont je fixe mes objectifs, à la manière de structurer mon travail et à l’entourage que je construis autour de moi.

Un élément clé, c’est aussi la capacité à rester focalisée sur mon bateau, surtout en course. Il est facile de se laisser happer par la comparaison avec les autres, de surveiller leur vitesse en permanence. Mais ce qui compte vraiment, c’est de se poser les bonnes questions : Comment va mon bateau ? Comment est-ce que je gère cette situation ? Comment est-ce que j’évolue étape par étape ? J’adopte une philosophie d’adaptation permanente, pour toujours être à l’écoute du projet et avancer en fonction de mes besoins et de mes capacités du moment.

Tu travailles beaucoup la préparation mentale ?

Oui, de plus en plus. La préparation physique est devenue essentielle avec l’évolution des bateaux, qui demandent énormément d’engagement. Mais la préparation mentale est tout aussi cruciale, et on commence vraiment à en prendre conscience.

En Figaro, je ne m’étais pas encore trop concentrée sur cet aspect, car il y avait déjà tant de choses à apprendre. Mais avec la montée en puissance des projets, la gestion d’une équipe, la charge de travail qui augmente à terre comme en mer, la préparation mentale devient un élément fondamental. C’est quelque chose que j’intègre de plus en plus, non seulement pour optimiser ma performance sportive, mais aussi pour mieux gérer le projet dans sa globalité.

 

Cette année, tu ne seras pas souvent seule à bord, avec des co-skippers et un équipage pour la Course des Caps. Comment abordes-tu cette saison ?

Je suis ravie, car cette configuration va me permettre d’apprendre rapidement en m’appuyant sur des navigations en équipage et en double. Tirer parti de l’expérience de mes co-skippers et de l’équipage est une chance précieuse. C’est une approche progressive qui me permet de prendre en main le bateau tout en montant en compétence avant de passer au solitaire l’année prochaine.

Si je ne me trompe pas, ma première course en solo en 2026 sera la Vendée Arctique, une épreuve exigeante. Cette saison est donc une étape essentielle : elle me donne le temps de bien appréhender mon IMOCA, de le comprendre dans ses moindres détails et d’accumuler un maximum de connaissances avant d’être seule à bord.

Je vois cette année comme une opportunité d’apprentissage, une chance d’accélérer ma progression en m’inspirant de ceux qui m’entourent.

 

Propos recceuillis par la Classe IMOCA