Quand la course au large met le cap sur la science

Le 11 juin 2025, à l’occasion de la 3e Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC), la Classe IMOCA et l’Ifremer ont co-organisé un side event à l’Institut de la Mer de Villefranche-sur-Mer (IMEV).
Intitulée « Au cœur de l’Océan, au service de la science », la rencontre a réuni scientifiques et navigateurs autour d’un même cap : transformer la voile océanique en levier de recherche et d’action environnementale.
L’urgence de mieux connaître l’océan
Dès l’ouverture, les voix scientifiques ont donné le ton. Emma Heslop, experte du programme GOOS (Global Ocean Observing System) à la COI-UNESCO, a rappelé les ambitions de la Décennie des sciences océaniques pour le développement durable (2021-2030). Cette initiative des Nations Unies appelle à fédérer l’ensemble des acteurs — chercheurs, gouvernements, ONG, entreprises, citoyens — autour d’une vision commune : renverser le déclin de l’état de l’océan par une meilleure connaissance, et traduire cette connaissance en politiques concrètes.
Loin des discours abstraits, cette ambition s’incarne dans des défis clairs : lutte contre la pollution, restauration des écosystèmes, adaptation aux aléas climatiques… autant de chantiers qui nécessitent des données précises, régulières, accessibles.
Martin Kramp, coordinateur à OceanOPS, a levé le voile sur la complexité d’un tel défi. Depuis Brest, son équipe pilote un réseau mondial de 10 000 capteurs – des bouées, des flotteurs Argo, des marégraphes, parfois même des animaux marins – qui alimentent en continu les systèmes de prévision et les programmes de recherche. Mais certaines zones, notamment dans les hautes latitudes et les mers du Sud, restent largement hors d’atteinte. C’est ici que les voiliers de course comme ceux de la flotte IMOCA entrent en scène.
« C’est la seule flotte sportive qui contourne régulièrement l’Antarctique. Ils accèdent à des zones inexplorées, là où nos instruments peinent à aller », souligne Kramp. Les IMOCA deviennent alors des éclaireurs scientifiques, naviguant au plus près des grandes inconnues de l’océan mondial.
© Julien Champolion - polaRYSE
Le regard critique des chercheurs
Mais si les données s’accumulent, leur pertinence reste un défi. Lucie Cocquempot, coordinatrice des réseaux d’observation à l’Ifremer, a alerté sur un paradoxe de notre époque : jamais la science n’a disposé d’autant d’informations sur l’océan, et pourtant son état continue de se dégrader. « Ce n’est plus seulement une question de volume, mais de ciblage, de qualité, d’indépendance des données. »
Elle souligne aussi un enjeu stratégique : face aux remises en cause du financement scientifique, notamment aux États-Unis, l’Europe doit préserver ses capacités d’observation. Cela implique de nouveaux partenariats, des financements hybrides, mais aussi une participation active de la société civile. Et sur ce terrain, les skippers de l’IMOCA montrent la voie.
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Des SKIPPERS au service de la connaissance
Sur scène, Boris Herrmann, Fabrice Amedeo et Sébastien Marsset ont illustré comment l’engagement environnemental s’inscrit désormais au cœur même de leur pratique. Loin d’un simple supplément d’âme, cette dimension scientifique transforme leur manière de naviguer. « Notre métier nous emmène dans des endroits extrêmes. Y déployer une bouée ou un capteur, c’est une façon de rendre à l’océan ce qu’il nous offre », confie Sébastien Marsset, soulignant la rigueur qu’impose ce geste, même en pleine tempête. Fabrice Amedeo, engagé dans cette voie depuis 2019, a fait évoluer son bateau en véritable plateforme de mesures, sans jamais opposer technologie et performance. Quant à Boris Herrmann, il rappelle avec force le credo de Team Malizia : « A Race We Must Win – Climate Action Now ». Pour tous trois, naviguer ne se limite plus à franchir une ligne d’arrivée : c’est aussi transmettre, documenter, alerter – et faire du skipper un trait d’union entre l’océan et ceux qui décident à terre.
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Une coopération active et ouverte
Cette alliance entre sport et science se structure. Depuis 2015, la Classe IMOCA est partenaire de la COI-UNESCO pour faire des bateaux de course des « navires d’opportunité ». Le projet Odyssey, en développement, vise à labelliser 10 000 navires civils pour intégrer ce réseau mondial d’observation – dont bien sûr les IMOCA.
Mais au-delà des capteurs embarqués, c’est tout un écosystème qui se met en mouvement, de la classe d’école au laboratoire. Manon Audax, médiatrice scientifique à l’IMEV, a présenté le programme Adopt a Float, qui permet à des élèves de suivre la trajectoire d’un flotteur océanographique. Certaines de ces balises, larguées par Marsset ou Amedeo lors du dernier Vendée Globe, ont été suivies par des classes bretonnes, illustrant cette passerelle entre haute mer et salle de classe.

Lucie Cocquempot y voit un signal fort : « La science participative n’est plus périphérique. Elle devient une composante intégrée des projets de recherche. »À condition, toutefois, de concevoir des outils adaptés, simples à utiliser, fiables, et portés par des relais crédibles. Le capteur testé récemment par Romain Attanasio et Antoine Cornic en est l’exemple : automatique, économe, non intrusif, il pourrait demain équiper des voiliers de plaisance.
Le message final est clair : préserver l’océan n’est plus l’affaire des seuls scientifiques. Les marins, les enfants, les entreprises, les enseignants, les citoyens – chacun peut devenir acteur de cette mobilisation. Pour cela, il faut des alliances inédites, des ponts entre mondes qui se côtoyaient à peine hier.
La conférence de Villefranche a ainsi esquissé une voie possible : celle d’une écologie du large, concrète, engagée, fondée sur le savoir et l’action. La Classe IMOCA, en transformant ses voiliers en sentinelles de l’océan, en incarne la promesse.
© Julien Champolion - polaRYSE
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