Il fallait régler son réveil à 4 heures pour vivre un petit moment d’histoire au Havre ce matin. En 30 ans, la Route du Café a connu tous les arômes mais celui de cette sortie nocturne des bassins avait une saveur bien particulière. 40 IMOCA s’en sont donc allés sur la pointe des pieds pour offrir quelques heures plus tard en baie de Seine un spectacle de toute beauté.

Lumière, vent frais, air vif, ça valait le coup d’attendre ! Toutes les conditions étaient réunies pour un direct d’anthologie où les 40 monocoques lancés à pleine vitesse ont encore une fois démontré leur extraordinaire potentiel. A l’heure d’aller faire une petite sieste, c’est Charal qui mène la danse sur la route du Cotentin, avec en ligne de mire le premier front cette nuit et beaucoup d’incertitude à suivre…

Dans la trouée des constructions modernes qui encadrent le bassin Paul Vatine, un feu vert traverse la nuit du Havre. C’est la tête de mât d’Initiatives coeur qui vient de s’élancer vers la sortie. En s’approchant sur le quai, je reconnais la longue silhouette de Paul Meilhat qui ordonne à son équipe de larguer les amarres de Biotherm. C’est parti ! Les départs sont cadencés toutes les deux minutes, et les bateaux sortent en quinconce de part et d’autres du bassin. Un bal bien orchestré par Augustin qui donne le go aux équipes d’un côté et Francis Le Goff de l’autre. Capuche vissée sur la tête, le directeur de course opère VHF à la main  et ça enchaîne !  Les ordres sont clairs mais sans stress inutile, comme un langage bien compris entre marins qui n’en sont pas à leur première. « Ça ressemble à une opération commando ! » me lance Sophie Faguet, qui retient la garde de Foussier, pendant que Sébastien Marsset met les gaz et décolle son IMOCA du ponton.

Pour gagner quelques heures d’un précieux sommeil, les skippers ont parfois laissé la responsabilité de sortir les bateaux à leur équipe. D’autres voulaient en être. Certains ont même dormi dans le bateau à l’image de Pierre Leroy sur Monnoyeur-Duo for a job. « J’ai pu travailler tranquille hier soir et c’est une bonne façon d’éviter le stress » dit le météorologue navigateur. Violette Dorange (DeVenir) qui s’élance pour sa première transat en IMOCA a elle aussi mieux dormi : « Ça me stressait un peu les 95 bateaux au départ et tout ce monde. Là, on part naviguer, comme on le fait toute l’année en fait, c’est plus facile d’être concentré » dit la benjamine de l’IMOCA, 22 ans seulement. Sébastien Simon aussi est heureux de partir sur cette Route du Café, lui qui n’a pris en main son Groupe Dubreuil qu’en juillet avec « le sentiment d’avoir accompli beaucoup de travail depuis ». Mais le co-équipier d’Iker Martinez ne se fait pas d’illusion sur le menu qui l’attend : « Ça doit être ma quatorze ou quinzième transat, ce n’est jamais pareil de passer un front dès la première nuit ou au bout d’une semaine de course. Bien sûr qu’on y pense. Nous ne sommes pas encore amarinés et il va falloir faire avec …»

 
A 5h30, le bassin Paul Vatine était vide et les 40 IMOCA avaient retrouvé le large. Il restait plusieurs heures aux skippers pour faire des ronds dans l’eau en baie de Seine avant le départ calé à 9h30. De quoi jeter encore un oeil à cette météo qui ne s’annonce pas simple. Si les premières 24 heures de course sont sans surprise, avec ce front qui cueillera les premiers au petit matin de mercredi en sortie de Manche, la suite s’annonce très incertaine. Sur le papier, la route Nord qui repart à l’assaut d’autres fronts et promet une bonne semaine de près est gagnante face à la route Sud, nettement plus longue. Mais comme le dit très bien le suisse Simon Koster (Hublot), « la question est de juger si c’est possible de l’exécuter aussi bien que le fait l’ordinateur qui est stérile et ne connait pas la mer. Sur cette route, il y a moyen d’attendre longtemps pour mettre quelque chose sur le bout dehors ! » Certains comme Damien Guillou qui accompagne Violette Dorange sur DeVenir plaident pour la route Sud, « la route du soleil, mais aussi celle où nos bateaux à dérive sont agiles dans les petits airs de la dorsale qu’il faudra traverser ». Yann Eliès (Paprec Arkéa) lui, n’y croit pas trop : « On cherche tous des routes Sud pour aller au soleil, mais pour l’instant, elles coûtent trop cher ! ». Après douze heures de louvoyage en Manche et un bon tapage nocturne du côté de Ouessant, les tandems auront pu nourrir leurs ordinateurs de nouveaux fichiers météo pour  savoir s’ils plongent franchement vers le cap Finisterre ou s’ils mettent un peu d’ouest dans leur route. Pour Pierre Le Roy, « les choix vont s’imposer assez naturellement. Même s’il y a encore un peu d’incertitude, les modèles vont finir par converger et certaines routes vont se boucher »

 A 9h30, ces considérations stratégiques étaient mises de côté. Place au sport, aux manoeuvres et c’est le couteau entre les dents que les IMOCA s’élançaient bâbord amures vers le Cotentin. Sous J3 et un ris, cavalant à 18 noeuds au près, les foilers s’en donnaient à coeur joie sur l’eau vert moutonnante de la baie de Seine. Groupe Dubreuil et Maître Coq V pointaient leur étrave en tête sur la ligne, avec les deux camarades d’écurie For People et For the planet dans le bon timing. Mais sous leur vent, Charal passait la surmultipliée démontrant que les nouveaux IMOCA peuvent prendre leur envol même au près.

Seule anicroche de ce splendide départ retransmis en direct, Bureau Vallée confondait le viseur avec la bouée et ne franchissait donc pas la ligne définie par les Instructions de course. Il écope de 5 heures dé pénalité. 

Quant à Macif Santé Prévoyance, c’est comme prévu en second rideau pour ne pas gêner ses concurrents que le plan Verdier s’acquittait de ce départ, avant de signaler son abandon. Charlie Dalin qui ne peut disputer la course pour raisons de santé, continue ainsi son processus de qualification pour le prochain Vendée Globe, à défaut de pouvoir défendre ses chances entre Le Havre et Fort de France.

 

LES DERNIER MOTS DES SKIPPERS CETTE NUIT :  

Tanguy Le Turquais (Lazare)

« Je viens de me réveiller. J’aime bien ces ambiances, de nuit avec du vent, c’est des moments uniques, on prend conscience qu’on va courir une Route du Café en IMOCA. On mesure tout le chemin accompli, c’est chouette. Notre plan de route n’est absolument pas calé. C’est très clair pour aujourd’hui. La réponse pour après le front on l’aura demain et à la fin de la Transat ! La situation météo est intéressante pour nous car les bateaux de devant peuvent aller dans une option et une autre porte peut s’ouvrir pour les bateaux de derrière comme les nôtres, donc c’est intéressant »

 

Sébastien Simon (Groupe Dubreuil)

« On est content parce que ce faux départ, ça devenait un peu long ! Et c’est l’aboutissement d’un projet démarré en juillet où beaucoup de travail a été réalisé. Le bateau est prêt avec un objectif simple : aller au bout et engranger des points pour la qualification au Vendée Globe. Il n’y a pas forcément d’objectif ou de pression de résultat mais on va essayer de faire les choses bien. La première nuit va être difficile. Bien sur qu’on pense au front de la première nuit. Ça doit être ma quatorze ou quinzième transat, c’est jamais pareil de passer un front dès la première nuit ou au bout d’une semaine de course, on n’est pas encore amariné et il va falloir faire avec. Mais ça va être super. » 

 

Violette Dorange et Damien Guillou (DeVenir)

Violette : « Ça me stressait un peu les 95 bateaux au départ et tout ce monde. Là, on part pour aller naviguer, comme on le fait toute l’année en fait, c’est plus facile d’être concentré.

Damien :  Se lever à 3h30 du matin pour partir en transat, c’est vrai que ce n’est pas courant. C’est pas génial pour les sponsors, mais pour nous, il y a moins de stress, on n’est pas dans le même état d’esprit que le départ initial et ce n’est pas plus mal.

Violette : Les deux premiers jours de course, on va avoir pas mal de vent. On va passer un front froid et un front chaud en même temps et ensuite le vent va faiblir nettement. Le vent est faible toute le reste de la transat. On va plutôt prendre la route du soleil.

Damien : « Nous, je pense que sauf gros changement d’ici 24 heures, notre choix de route est fait. Pour nos bateaux, c’est pas mal, il y aura du vent faible, une dorsale à traverser et pour ça, il faut avoir un bateau agile, ce qui est le cas de DeVenir. Les bateaux de devant vont buter dans la dorsale, ça va revenir par derrière pour les bateaux plus lents et pour faire tout ça, il n’y a pas besoin de grands foils et de grosse puissance »

 

Pierre Le Roy (Monnoyeur-Duo for a Job) 

« J’ai dormi dans le bateau pour diminuer le stress et travailler tranquille. C’est l’équipe qui m’a réveillé tout à l’heure, avec beaucoup de marge. Là, c’est plutôt détente, c’est de chouettes moments à partager.  Est ce que j’ai la situation bien en tête ? J’ai surtout les questions qu’il faut se poser bien en tête ! Je préfèrerais faire une transat au portant, c’est quand même des allures plus agréables et plus naturelles pour ces bateaux. Ensuite, sur le strict plan de la compétition, il y a quand même de bonnes chances qu’on joue au près longtemps et c’est peut-être pas mal pour nos bateaux par rapport aux foilers contre lesquels on pourra se bagarrer plus longtemps. Ça fait pas plaisir, mais c’est fort possible que ça passe par le Nord. Le front passe assez vite et c’est ce mardi soir, à la sortie des fichiers qu’il faudra se décider. Ils donneront déjà une indication du contournement de la Bretagne, du passage au Nord ou au Sud du DST pour ensuite savoir si derrière le front, on plonge vers le cap Finisterre ou pas. Les choix vont s’imposer assez naturellement. Même s’il ya encore un peu d’incertitude, les fichiers vont finir par converger et certaines routes vont se boucher. Notre humeur à l’arrivée dépendra de la sensation d’avoir donné le maximum ou pas. Si on a fait une bonne trajectoire et utilisé le bateau à sa bonne vitesse, je sais qu’on sera content et bien classé dans les bateaux à dérives. »

 

Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence) 

«  On est chauds, contents de partir. On attend ça depuis longtemps. On est concentrés sur tous les points clés du départ et des 24 premières heures. Le départ ne va pas être très agréable, parce que cela fait longtemps qu’on n’a pas navigué. Ça risque d’être un peu beurk !… Les débuts de course dans ce genre de conditions, ce n’est jamais funky. Ce n’est pas ça que tu viens chercher particulièrement, mais il faut passer par là pour avoir le droit aux trucs plus sympas qui suivent. La passage du front va dépendre un peu de nos vitesses respectives, et la décision stratégique de l’angle par rapport au vent viendra après. On devrait le toucher au petit matin mercredi, peut-être au niveau d’Ouessant, qui fait partie des écueils sur la route. »

 

Lois Berrehar (Fortinet-Best Western)

« J’ai hâte de partir, je me sens bien. C’est ma deuxième Route du Café en IMOCA. Les conditions vont être toniques, mais on a eu le temps de s’y préparer pendant dix jours, donc maintenant il faut y aller ! Les 24 premières heures sont claires. Ensuite, il y a cette route Nord qui semble bien ouverte. Elle est belle sur l’ordinateur, mais dans la vraie vie, il faudra voir. Il y a quand même beaucoup de vent et beaucoup de mer. Nos bateaux peuvent faire du près mais préfèrent la glisse ! Hier, la porte du Sud n’était pas grande ouverte et il faudra être rapide si on veut y aller.

Je m’attends à des routes assez divergentes car la situation s’y prête et les bateaux sont très différents les uns des autres. Ça va être intéressant de suivre ça. On prend 18 jours de nourriture, donc c’est large tu vois. Même sil n’y a pas d’alizé, on sera bien ! On espère terminer devant les bateaux de notre génération. Beaucoup de bateaux plus récents sont difficilement prenables, mais si on navigue bien, ç apeut nous amener aux portes du top ten, c’est ce qu’on vise ».

 

Alan Roura et Simon Koster (Hublot)

Alan : « La nuit n’a pas été longue, mais là, il faut y aller, faut larguer les amarres, ça nous titille depuis de longs jours maintenant. »

Simon : « Le départ va être sportif. Il ya du vent, un front à passer à la sortie de la Manche, il va falloir être dessus et pas faire de bêtise car il y aura de la mer et le vent sera instable. Ça c’est le challenge des premières 24/36 heures. Après, le choix de route va s’imposer derrière le front »

Alan : « Au milieu du golfe de Gascogne, il va falloir prendre sa décision. Les fichiers évoluent. Hier, on avait jusqu’à Porto pour se décider, là, c’est plutôt la Corogne, peut-être que ce soir, ce sera encore plus tôt ! Deux options s’annoncent très différentes Les conditions ne sont pas simples dans le Nord. Et dans le Sud, c’est plus clément, mais il faut arriver à passer… »

Simon : « Il ne faut pas faire un choix par défaut. La route Nord est clairement la plus rapide aujourd’hui, mais la question est de juger si c’est possible de l’exécuter aussi bien que le fait »

Source : Transat Jacques Vabre