Retour à la course

Lecture Gallimard

Thème aventurevu parColette Fellous

AdobeStock 135344620

La mer enlève et rend la mémoire

FELLOUS Colette photo F. Mantovani Gallimard 7354 12.2016© F. Mantovani

L’image qui  me secourt depuis toujours, et qui m’apparaît aussitôt sans que j’aie besoin de la convoquer, c’est la mer. Je l’appelle ma magicienne parce qu’elle fait se rejoindre tous les points de ma vie et les rassemble en un dessin mystérieux qu’elle me donne sans cesse à déchiffrer. Enfant, dans notre maison d’été, je retrouvais à chaque fois ces cotonnades imprimées de voiliers rouges, jaunes et bleus qui recouvraient tous les lits, elles signaient la promesse d’un été sans fin ni bords, d’un voyage dans le temps mais aussi hors du temps. C’était la première chose que je voyais en arrivant, ils avaient l’odeur franche de l’été et portaient en eux la forme de toutes les plus grandes aventures. Ces voiliers, je m’enroulais en eux, j’en faisais des robes, des jupes, des turbans, ils s’adaptaient à tous mes jeux et la nuit, ils me veillaient en longeant mes rêves, en les colorant. Depuis, je crois que la mer est devenue mon vêtement invisible, elle ne me quitte jamais. Je suis peut-être une fille des villes mais clandestinement je suis surtout une fille de la mer car elle m’a tout appris. La contemplation, la beauté, le courage, la force de la solitude, la conscience d’appartenir au monde, la peur aussi, lorsque je partais vers le large et nageais loin, encore plus loin, jusqu’à perdre de vue le rivage. Je me retournais alors pour mesurer la distance que j’avais parcourue et il n’y avait que du bleu, je ne savais plus comment me diriger pour revenir, tous les chemins étaient pareils, frissons, j’allais mourir. Délice de cette peur que je devais surmonter. J’étais devenue un minuscule point au milieu du bleu, du gris, du noir, de toutes ces nuances que je n’avais jamais vues jusque-là, alors je devais faire preuve de courage et être très méthodique, trouver les bons gestes. Joie de retrouver peu à peu les contours de la côte avec dans le corps, cette aventure unique que je venais de vivre et que je devais garder, surtout ne rien dire à personne, je venais de signer pour toujours un pacte entre la mer et moi. Aujourd’hui, je la vois comme le grand écran du monde, elle contient tous les temps, passé, présent, futur, mais comment fait-elle pour avoir ce pouvoir ?

 

J’aime écrire dans des maisons qui donnent sur le large.

 

J’aime écrire dans des maisons qui donnent sur le large. J’apprends alors à voir. C’est une recherche permanente, de chaque seconde, qui permet de mettre en marche sa pensée, alors tout se rassemble, tout se fait entendre derrière le chahut des vagues. De ce grand écran apparemment vide, vont apparaître peu à peu de légères présences, une lumière, un cargo, un voilier, des pêcheurs, des voix, un moteur, et le ciel qui modifie sans cesse les lumières et les couleurs, c’est grandiose. Elle est une page immense sur laquelle je vais poser des mots, des visages, des scènes. Je m’absente en regardant la mer, elle devient mélopée, je m’enroule de nouveau en elle comme je le faisais enfant avec ces voiliers de coton, je m’absente encore et c’est ce sentiment qui m’aimante, je sais que je vais devoir d’abord disparaître et m’oublier pour mieux faire revenir les choses essentielles qui vont se dévoiler dans un livre et en faire sa matière. Toutes les fictions sont cachées dans la mer, à nous d’aller vers elle pour les découvrir ou pour les retrouver. La mer enlève et rend la mémoire, disait Hölderlin. À nous de risquer l’aventure, la plus belle des aventures, celle de partir.

Colette Fellous

Les textes similaires du thème

107768002 2690935927862474 4635941179161907290 n
Yannick BestavenTexte précédent
VMA 3795
Kojiro ShiraishiTexte suivant