Retour à la course

Lecture Gallimard

thème inconnu et voyagevu parMiranda Merron

VMF 0735

Parfums de mer

Miranda HD© JEAN-MARIE LIOT

À terre, nous sommes assaillis par des milliers de parfums et odeurs variés, agréables ou pas. L’herbe fraîchement coupée, le mélange de pétrichor et géosmine quand il pleut après une période sans précipitations, le chocolat fondu, les oignons frits, l’essence, les Sharpies, l’époxy, l’émanation d’innombrables pots d’échappement de véhicules, la senteur douteuse de cannelle dans les supermarchés avant Noël.

En pleine mer, il n’y a rien de cela. Enveloppé par le parfum de la mer (des phytoplanctons en décomposition en réalité), des nuances changeant en fonction des conditions, de l’endroit géographique, de la densité de l’air, il n’y a rien – ou presque – qui dérange cette atmosphère pure. Donc un parfum ou une odeur inhabituelle est immédiatement repérée, et fait office d’alerte. Il va sans dire que cela fonctionne comme un avertissement lorsque la source de l’odeur se situe au vent. Une odeur de poisson est souvent signe de présence de baleines. Si cela est mélangé avec un léger parfum de combustible, c’est probablement un bateau de pêche. Et puis il y a la fumée de cheminée de cargo. Une masse d’acier qui pourrait être un danger s’il n’y avait pas une bonne veille sur la passerelle, mais qui pourrait aussi mener à un petit moment de convivialité sur les ondes VHF avec un matelot de quart au milieu de la nuit, en route pour une destination à des centaines, voire des milliers de milles de là.

Il y a aussi l’odeur de l’orage. On n’est pas très à l’aise sur un voilier tout seul au milieu de l’immensité de l’océan, avec le mât qui pointe vers le ciel. On peut sentir l’odeur d’ozone produite par la foudre avant qu’un orage arrive, emmenée par l’air froid qui descend vers la surface, et surtout quand l’orage a frappé non loin.

À bord, on est habitué à l’odeur de l’intérieur du bateau, donc ce n’est que le lendemain de l’arrivée, une fois qu’on a pris une douche et qu’on s’est réhabitué aux odeurs terrestres, que l’on se rend compte que ça ne sent pas toujours la rose. Sur le pont, de temps à autre, il y a une odeur de poisson volant égaré, de crevettes ou d’algues déposées par les vagues et cachées dans les recoins. 

Mais la plupart du temps, le milieu de l’océan est un espace de pureté.

Mais la plupart du temps, le milieu de l’océan est un espace de pureté. Et puis un jour, on finit par se rapprocher de la terre, et le contraste entre l’air marin et les effluences de la terre est très marqué. 

Une nuit, il y a quelques années, après plusieurs jours de course transatlantique dans une bulle plutôt « propre », nous sommes passés au sud de Saint- Domingue, où il y avait une odeur surprenante de bubble-gum, sûrement une usine. Un peu plus loin au sud d’Haïti, juste avant l’aube, nous avons senti les feux de bois à l’heure où les gens commencent à préparer le petit déjeuner.

Cependant l’odeur la plus extraordinaire reste celle, envoûtante, de la terre humide à l’approche de la côte la nuit, quand le vent vient du littoral, que ce soit sous la nuit tropicale d’une île antillaise ou bien le rivage de la côte sud de l’Angleterre ou du Cotentin. Après une longue période en mer, les premières minutes de ce délicieux mélange riche de végétation, de terre, de bois sont magiques. Avant qu’on s’y habitue à nouveau, trop vite, au point de finir par ne presque plus le sentir.

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