Retour à la course

Lecture Gallimard

thème rencontres et hasardvu parStéphane Le Diraison

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Aux hasards de l’océan

LE DIRAISON STEPHANE   TIME FOR OCEAN   063© PHOTO : VINCENT CURUTCHET / IMOCA
La mer fascine les hommes autant qu’elle les effraie. Immense, insaisissable, colérique, versatile, elle ne se laisse pas dompter et nous tolère simplement. Avec un long apprentissage et une bonne dose d’humilité, on peut apprendre à la connaître. En contrepartie, elle offre une palette infinie de découvertes. De grands auteurs comme Jules Verne et Victor Hugo y ont puisé leur inspiration et d’innombrables ouvrages permettent de s’immerger dans l’atmosphère unique de l’environnement marin.


Cependant rien ne remplace la confrontation aux éléments. Dès le plus jeune âge, je me suis mis en tête de vivre mes propres aventures maritimes, les livres ne me suffisaient pas ; il fallait que j’aille voir ce que cachait l’horizon. Depuis, je n’ai cessé de repousser mes limites en sillonnant les océans. La mer est une source inépuisable d’émotions. Chaque navigation est unique et recèle son lot de surprises : un arc-en-ciel dans le grand Sud, un orage apocalyptique en passant l’équateur, le rayon vert au coucher du soleil, la douceur du calme retrouvé après un coup de vent…

Quand on navigue, les émotions sont exacerbées et les rencontres prennent une saveur particulière. Les océans, bien que menacés par l’activité humaine, hébergent une vie tumultueuse. D’innombrables espèces d’oiseaux, de poissons et de cétacés croisent le sillage des navires et parfois même les accompagnent. Voici quelques extraits de mes carnets de bord.

Atlantique Nord

Après plusieurs jours de navigation lors de la Transat en équipage Québec-Saint-Malo, nous approchons des îles de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le temps est maussade, la visibilité totalement bouchée : nous évoluons dans un brouillard dense malgré un vent relativement soutenu. Nous sentons l’odeur des arbres et de la végétation. La côte est très proche quand subitement le brouillard se lève. En quelques minutes le ciel se dégage, laissant apparaître un paysage totalement préservé. Nous avons un peu l’impression de revivre le périple de Jacques Cartier. Le vent mollit. Après plusieurs jours d’une lutte acharnée, la pression se relâche à bord. L’eau est d’un vert intense, avec des reflets presque vert émeraude tant elle est chargée en plancton dans cette région. Désormais le vent est quasiment nul, nous progressons très lentement sur une mer lisse comme un lac. Soudain, à quelques dizaines de mètres du bateau, nous apercevons une baleine et son baleineau. Les deux cétacés semblent jouer, tout en douceur et en tendresse. Le temps se fige. Cette rencontre magique est une chance unique et restera à jamais gravée dans ma mémoire.

Cette rencontre magique est une chance unique et restera à jamais gravée dans ma mémoire.

Mers australes

Avant ma participation à l’édition 2016 du Vendée Globe, je n’avais jamais navigué dans les mers du Sud. En contournant l’anticyclone de Sainte-Hélène, au large de l’Amérique du Sud, je suis animé par l’envie frénétique de découvrir les quarantièmes rugissants, bien qu’une certaine appréhension tempère cet engouement. Les fameux albatros font partie des curiosités des mers australes, pourtant j’ai sous-estimé l’effet qu’ils produiraient sur moi. En entrant dans la zone mythique, je suis accueilli par un fort coup de vent qui plante le décor : ciel gris, longue houle, vent soutenu, humidité permanente, embruns glacés. La mise au défi dépasse mes espérances. Après plusieurs semaines en solitaire, le rythme du large est bien installé à bord et parfois la solitude commence à peser. C’est dans ce contexte qu’est arrivé « mon » premier albatros. Au début je n’y ai pas vraiment fait attention, restant concentré sur la marche du bateau. Puis au bout de deux jours, je me rends compte qu’il me suit inlassablement. Incroyable. Cet oiseau infatigable ne se pose-t-il jamais ? Son vol est une leçon de fluidité et d’harmonie : il plane sans cesse, les mouvements de ses ailes sont quasiment imperceptibles. Il s’élève, redescend, tourbillonne avec une aisance stupéfiante. Tel Icare, j’aurais voulu me coller des plumes avec de la cire et m’élever à ses côtés. Mais connaissant la fin de l’histoire avec Dédale, je me suis abstenu. Le célèbre poème de Baudelaire raille la maladresse de l’animal posé sur le pont d’un navire, ne sachant que faire de ses longues ailes, mais dans les airs, quelle majesté ! Quelques albatros m’ont ainsi accompagné lors de ma traversée de l’océan Indien. Une seule fois j’en ai vu un se poser. Le mât de mon bateau s’était brisé et tandis que je faisais mes meilleurs efforts pour mettre en place un gréement de fortune, il a amerri juste à côté. Il m’a regardé incrédule, avec l’air de me demander ce qui m’arrivait. Je pense que s’il avait pu m’aider, il l’aurait fait. 

Fleuve Saint-Laurent

Ma rencontre la plus improbable nous conduit dans les eaux somptueuses du Saint-Laurent. Ce fleuve est un véritable hymne à la vie aquatique, en particulier dans la zone de confluence avec la Saguenay. Baleines, bélougas, phoques, marsouins se donnent rendez-vous dans ces eaux poissonneuses. Le spectacle est grandiose ! Il faut toutefois rester attentif car dans ces parages, les bancs de sable ont une fâcheuse tendance à se déplacer. Les cartes marines sont donc à considérer avec circonspection. Quand vient la nuit, à défaut de voir dans le noir, le danger redouble. Remontant le fleuve en équipage, mon tour est venu de me reposer. Sur le pont, deux équipiers tentent de déjouer les pièges de cette navigation particulière. Au milieu de la nuit, ils viennent me réveiller, alertés par des bruits inquiétants. Je les rejoins sur le pont. Pendant des secondes qui paraissent une éternité, nous restons pétrifiés par des hurlements qui se rapprochent. Nous sommes à bonne distance de la côte et pourtant nous pourrions croire que nous sommes plongés en pleine forêt avec des loups. Nous sortons le projecteur et là, stupeur puis éclats de rire. Nous sommes à quelques centaines de mètres – peut-être moins – d’un banc de sable non signalé sur la carte. Des loups de mer (variété de phoques gris) s’ébrouent sur le sable en poussant des cris dignes d’un film d’épouvante. « Tu as eu peur toi ? » « Non pas du tout ! » Un peu quand même… Ce jour-là je me suis imaginé à la place des marins qui découvraient ces contrées au xvie siècle, débarquant dans l’inconnu. Je comprends d’autant mieux pourquoi ils étaient superstitieux ! 

Bretagne

Parmi les nombreux compagnons de voyage rencontrés sur les mers, les plus fidèles sont sans conteste nos amis les dauphins. Ces cétacés occupent une place à part auprès des marins. Leur œil vif témoigne d’une intelligence exceptionnelle. Ces animaux espiègles sont très joueurs : je ne compte plus les fois où des dauphins sont venus s’amuser autour du bateau. Souvent je m’assois sur le pont pour les regarder et profiter du spectacle. Parfois ils ne se contentent pas de nager autour de l’étrave et jouent les acrobates en faisant des sauts. Dans la baie de Douarnenez, un dauphin surnommé « Jean Floc’h » était un vrai artiste (cette histoire est vraie, de nombreux marins en ont été témoins). Il se murmure que Jean Floc’h était un dauphin dressé par les plongeurs démineurs de la Marine. Dans tous les cas, c’était un véritable farceur. Arrivant à la voile en solitaire dans le petit port de Tréboul, je m’apprêtais à sauter sur le ponton lorsque mon (petit) bateau stoppa sa course et se mit à reculer… Incrédule, je glissai ma tête au-dessus du tableau arrière et là, stupeur : un dauphin jaillit. Il sortit sa tête de l’eau et se mit à siffler en me regardant. J’avais clairement l’impression qu’il se moquait de moi ! Le même spécimen n’a pas hésité à déplacer une bouée lors d’une régate internationale de Dragon (quillard lesté) dans la baie de Douarnenez, semant la zizanie au sein de la flotte. Et tellement d’autres anecdotes… Aujourd’hui les dauphins, comme nombre d’espèces, sont menacés par la pollution et la pêche intensive. On en croise moins souvent et, régulièrement, leur peau porte les stigmates de blessures provoquées par des engins de pêche. Le plateau de Rochebonne (au large de La Rochelle) est le théâtre de véritables massacres : deux mois par an, les chaluts et la pêche en bœuf sont autorisés. Sous le joug des lobbys de la pêche industrielle, les bars sont décimés en pleine période de frai. Des filets en forme d’entonnoirs raflent tout sur leur passage et tuent de nombreux dauphins. 

Indissociable de la vie et de la biodiversité terrestre, la protection des océans est un enjeu majeur du xxie siècle. Les pollutions et dérèglements observés en mer proviennent majoritairement de la terre. Institutions, citoyens et entreprises doivent se réunir autour de stratégies communes pour agir, sensibiliser et chercher des solutions innovantes, afin de trouver des alternatives à nos modes d’exploitation et de consommation des ressources. Pour continuer à vivre et partager ces histoires, il est grand temps que les hommes prennent conscience de la fragilité des océans et de l’impérieuse nécessité de les protéger. 

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