Retour à la course

Lecture Gallimard

Thème technique et technologievu parCharlie Dalin

2019 APIVIA 1410 190919 MxHorlaville disobey. Apivia 0668

La performance, une symbiose homme et machine

DALIN CHARLIE   APIVIA  022© Vincent Curutchet / IMOCA

Il faut de nombreuses années pour construire l’expérience nécessaire pour mener un IMOCA aux avant-postes. Météo, réglages, manœuvres, sommeil, alimentation, réparation mécanique, électronique, composite, préparation physique et mentale… Des années de compétitions, de projets. Avec une remise en question permanente, car la technologie évolue sans cesse. Dans tous les domaines, chaque année il faut réfléchir, développer, innover, réinventer pour rester au sommet de la vague. L’état de l’art est en évolution permanente, une vérité absolue peut ne plus l’être d’une année sur l’autre.

Une course ne se gagne pas pendant la conception ou la construction d’un bateau, en revanche elle peut s’y perdre. Un IMOCA est un peu puzzle géant, où chaque pièce a un rôle précis. Chacune de ces pièces, de la plus grosse à la plus petite, de la plus complexe à la plus simple, a un cahier des charges précis. Tout doit être décidé : type de matériaux, forme, coefficient de sécurité, emplacement… L’équilibre est subtil à trouver, car l’erreur n’est pas permise et une casse peut rendre la course impossible à gagner, voire à terminer, mais un surdimensionnement systématique pourrait aussi handicaper le bateau. Chaque gramme « gagné » sur la concurrence est bon à prendre, mais il faudra toujours rester du bon côté de la ligne, au risque de tout perdre. Ceci est valable en course également, naviguer à la limite de la sollicitation du matériel, à la limite de la sollicitation du marin, être en permanence à l’écoute, pour rester toujours du beau côté de cette ligne invisible.

Nous sommes à la recherche permanente de l’équilibre qui permet de fabriquer toujours plus de vent, et donc d’aller toujours plus vite. C’est un puzzle géant et l’équilibre finit toujours par se rompre inévitablement, car les conditions finissent tôt ou tard par évoluer. La machine nous le fait savoir, parfois par un bruit, par un changement d’assiette ou de gîte, ou encore par la façon dont la coque tape dans la mer. Nous n’avons alors pas le choix : ajuster les réglages, déplacer des centaines de kilos de matériel, réduire ou renvoyer de la toile, modifier la trajectoire, remplir, vider ou transférer des réservoirs d’eau de plusieurs milliers de litres. Tant que les « chiffres » ne sont pas les bons, il faut s’activer pour tendre vers la bonne solution pour les retrouver, que cette maudite case du logiciel devenue rouge, redevienne verte et ainsi retrouver la vitesse optimale, et donc la sérénité. Si je navigue à 98 %, je sais que tous les 100 mètres, je vais en perdre deux que je ne récupérerai jamais. 

La machine s’anime, s’exprime grâce à nous et à notre attention de tous les instants. La sortie de piste peut être rapide, accompagnée ou non de dégâts. Cela peut être assimilé à la conduite d’une voiture qui changerait de cylindrée en permanence, sur une piste, tantôt lisse, tantôt cabossée.

Il existe une relation particulière avec le bateau. Certes nous décidons de tout – trajectoire, choix de voiles, réglages –, mais en parallèle, nous sommes sans cesse confrontés à des situations qui demeurent en dehors de tout contrôle : variations du vent en force ou en direction, état de la mer… Nous sommes esclaves de notre bateau quand bien même nous le maîtrisons. Nous devons être sans cesse sur le pont pour nous adapter aux divers changements et ainsi, rester performants. Nous sommes comme des cheminots qui rechargent en permanence la locomotive en charbon, mais sommes cependant à la merci de tous ces paramètres, qui, aussi minimes soient-ils, affectent notre progression. Nous devons être dans l’action à chaque instant, afin de conserver la vitesse optimale. 

C’est ainsi que nous sommes devenus les facteurs limitants de la performance. Le rythme imposé à bord au fur et à mesure de ses évolutions techniques et technologiques devient de plus en plus sollicitant physiquement, et il faut trouver le bon compromis entre l’homme et la machine. Ne disposant pas d’un coach nous assistant ou nous motivant dans l’oreillette à chaque instant, c’est à nous, skippers, de trouver le bon dosage entre nos propres capacités et celles de nos bateaux. Bien se connaître et bien connaître son bateau, qu’il s’agisse de compétences ou de défauts, sont des éléments prépondérants à la performance.

Je sais que lorsque je quitte le ponton, il n’y aura plus aucun répit, aucune pause, de jour comme de nuit, et que ce sera ainsi jusqu’à atteindre la ligne d’arrivée, en tête de préférence. Rien de plus satisfaisant que de lever les bras en premier, d’en finir avec la satisfaction du travail bien fait, de la course bien menée. L’émotion est toujours forte de voir le ponton d’arrivée se dessiner, sans la présence d’aucun autre concurrent : c’est une sorte de matérialisation de la victoire qui procure une émotion toujours particulière, qu’il s’agisse d’un entraînement de 24 heures à Port-la-Forêt ou d’une course de plusieurs semaines.

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