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Un traitement cinématographique impressionniste de la course au large qui change la perception de notre sport.

Alors que la Route du Rhum-Destination Guadeloupe s’élance dimanche 6 novembre dans des conditions qui s’annoncent éprouvantes, la projection privée d’un film hors norme hier à Saint-Malo a chamboulé les esprits.

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Retour le 8 novembre 2021 aux Sables d’Olonne – Les premières images s’ouvrent sur la flotte du Vendée Globe 2020-21 qui s'avance doucement sur la ligne de départ dans un épais brouillard. Le décor est planté et imprime dans l'esprit du spectateur l'idée que ces marins sont sur le point de basculer dans un autre monde.

Le skipper Thomas Ruyant apparaît dans son cockpit, plein d’énergie. Il règle les voiles de son LinkedOut désormais lancé sur une course qu’il terminera à la quatrième place. Il sera ensuite reclassé sixième après compensation de temps, suite au chavirage de Kevin Escoffier.

Ce que personne ne savait lorsqu'il a pris la mer, c'est que son IMOCA était équipé de 13 caméras et 16 microphones dans le cadre d'un projet visant à créer un enregistrement cinématographique de sa course sous de multiples angles.

 BO 0609© Pierre BOURAS

Le film d'une heure qui en résulte, 29 173 NM, de Romain De La Haye-Serafini, plus connu sous le nom de Molécule, et Vincent Bonnemazou, est stupéfiant, dérangeant, choquant même, car nous voyons le skipper nordiste vivre ce qui ressemble presque plus à un exercice de torture qu'à un sport.

Nous savons tous que courir, en solitaire, en IMOCA est une discipline extrême, mais cette compilation de séquences immersives, avec un clin d'œil aux techniques mises au point par Stanley Kubric, change notre perspective. Les nouveaux bateaux à foils sont connus pour être des plus inconfortables et bruyants et ce nouveau récit du Vendée Globe nous le fait comprendre, comme jamais.

Nous découvrons Thomas Ruyant monter dans son mât, se battre avec des drisses à l’avant de son bateau, être ballotté dans tous les sens, essayer de dormir sur un bateau qui ne cesse de s’écraser et cogner les vagues, avec des alarmes qui hurlent et des lumières qui clignotent. S'agit-il d'un marin, d'un soldat dans les tranchées, d'un animal de laboratoire, d'un astronaute solitaire perdu dans l'espace ou d'une personne participant à une étrange expérience ?

129119199 2040097389463005 2955919671019089647 n© © Pierre Bouras / Tr Racing

Nous ne pouvons qu’admirer les vues remarquables de LinkedOut filant dans l’océan Austral. Ces images inédites prises au sud de la Nouvelle-Zélande, capturées grâce à des caméras installées sur les outriggers, sont sans doute les plus spectaculaires jamais enregistrées dans les mers du Sud. Il ne s'agit pas seulement du contenu, mais aussi de la qualité. Bien que régulièrement trempées par l'eau salée, les caméras ont continué à enregistrer des images extraordinaires. Jamais auparavant un IMOCA fendant les vagues, n'avait été aussi puissant et vulnérable à la fois.

L’ensemble de la bande sonore est aussi fascinant, car il s'agit d'un projet qui repose autant sur le son que sur l'image. Il n'y a presque pas de dialogue, mais une création électronique pulsée fournie par le musicien Molécule (alias De la Haye-Serafini lui-même), qui s'inspire du répertoire percussif de la coque et du gréement de LinkedOut.

 BO 0115© Pierre BOURAS

Si le rythme est imposant, il est puissant dans sa façon de capter les bruits du bateau, présentant la course en IMOCA comme une guerre en mer, plus que comme un voyage au long cours. À plusieurs reprises, le rythme s’amplifie jusqu'à atteindre un crescendo tonitruant pour retranscrire l'épuisement, le danger ou la combinaison mortelle des deux. Dans une longue séquence abstraite, la bande-son et les images se dissolvent en un kaléidoscope de couleurs, nous invitant à partager les rêves vifs voire les hallucinations d'un marin solitaire fatigué au sommeil léger.

Financé par Advens, société de cybersécurité, principal sponsor du team LinkedOut, ce projet est, tel un Big Brother sur l’océan, un enregistrement intrusif du Vendée Globe de Thomas Ruyant. Pendant ces 80 jours de course, le skipper de 41 ans, vainqueur de la Transat Jacques Vabre en 2021, a pu activer les caméras dans les moments les plus intenses, mais avoue être heureux de la manière dont les réalisateurs ont magnifié son expérience.

124678634 2019757814830296 356080691614840570 n© © Pierre Bouras / Tr Racing

Les images nous montrent un marin solitaire très compétent, heureux en sa compagnie, plein d’énergie et de détermination pour maintenir sa course sur la meilleure des voies. Nous le voyons dans des moments de pur plaisir ou criant sa frustration du haut de son mât, rasé ou barbu. Nous le voyons également épuisé, essayant de dormir et répétant des mouvements en état d’extrême fatigue, tel un somnambule.

Toute personne travaillant dans le domaine de la voile devrait voir 29 173NM, dont les producteurs sont toujours à la recherche d'un accord de distribution. J'écris sur les aventures des marins solitaires depuis plus de 25 ans et cela a changé ma vision de ce sport. Ces hommes et ces femmes relèvent des défis remarquables dans un environnement dangereux et menaçant, sur des machines complexes qui peuvent se briser à tout moment. Nous ne devons jamais sous-estimer leur courage et leur détermination, ni le choc qu'ils vivent à leur retour à terre, après avoir vécu sur le fil du rasoir pendant des mois.

Ed Gorman