1J5A8203

Comme le Vendée Globe et la Transat Jacques Vabre, la Route du Rhum-Destination Guadeloupe s’élance traditionnellement tard dans la saison, lorsque la période cyclonique se calme aux Antilles mais que l’Europe est balayée par des chapelets de dépressions qui peuvent transformer le début de course en véritable défi.

Le départ de Saint-Malo dimanche ne semble pas différent à cet égard, puisque les 38 skippers IMOCA (un record) s'apprêtent à vivre un redoutable début de course. Les solitaires devront réussir à se frayer un chemin face à des vents d'ouest forts sur des bateaux conçus pour naviguer surtout au portant.

Nicolas Lunven, double vainqueur de la Solitaire du Figaro et dixième de la Vendée Arctique cette année, a travaillé aux côtés du célèbre météorologue Marcel Van Triest pour conseiller, avant le départ, un groupe de 12 marins IMOCA sur la stratégie – Une fois en mer, le conseil et routage depuis la terre sont interdits en IMOCA). Ce groupe comprend de nombreux favoris au podium tels que Charlie Dalin sur APIVIA, Thomas Ruyant sur LinkedOut ou encore Jérémie Beyou sur son nouveau Charal. 

220719 Malizia RP5555© Ricardo Pinto | Team Malizia

Nicolas Lunven confirme que cette édition s’annonce éprouvante. "Le début de la course et les quelques jours qui suivent seront très difficiles pour les concurrents", nous confie-t-il. "Nous sommes en hiver maintenant et le vent sera très violent les premiers jours, avec des fronts très profonds qui s'étendent loin dans le sud".

"Cela signifie aussi que les alizés ne sont pas bien établis et qu'il sera donc compliqué de trouver une route pour aller vers le sud, près du cap Finisterre puis le long de la côte portugaise - malheureusement, il n'y a pas d'option pour l'instant."

Selon lui, les skippers en quête du podium devront prendre l’option la plus difficile et se frayer un chemin au près. Aussi, dans les premiers jours, nous pourrions voir la flotte monter vers l’Irlande, en bâbord amure.

Screenshot 2022 11 04 at 14.37.43

“La seule manière de s’en sortir les premiers jours va être d’aller se battre contre un vent d'ouest très soutenu et d'essayer d'avancer dans l'ouest ou le sud-ouest",explique-t-il. "Ensuite, après le passage du front, ils pourront aller chercher un peu de vent de nord-ouest qui les aidera à aller vers le sud et attraper les alizés."

Selon Nicolas, il n'y a pas vraiment d'alternative à la sortie de la Manche. Lundi après-midi et soir, la flotte heurtera la premier front et l’état de la mer pourrait être plus problématique que la force du vent.

"Nous parlons de vents d'environ 45 nœuds (90km/h) avec une houle de six à sept mètres, donc c'est énorme",souligne-t-il "Cela va être très, très difficile et c'est pourquoi nous essayons de trouver un compromis pour éviter cette situation. Le problème est que le front sera actif et profond avec une longue extension vers le sud, et sera localisé à l’ouest d'Ouessant, donc il ne sera pas possible de l’éviter."

Une fois que les skippers auront affronté ce système, ils bénéficieront de conditions plus clémentes avant l'arrivée du prochain front, mercredi. Il s'agira à nouveau d'un système actif avec une forte extension nord-sud, mais Nicolas Lunven espère que les skippers disposeront alors de plus de choix pour éviter le pire.

BEYOU IMOCA© Maxime Mergalet

Ce départ sera donc éprouvant pour tous et le marin recommande à tous d’être le plus prudent possible sur ces premiers jours de compétition. "Si j’étais concurrent, j'opterais, non pas pour un mode lent, mais pour un mode sûr afin de m'assurer de ne rien endommager”,déclare-t-il. "Vous devez établir votre rythme de course - dormir et manger et ainsi de suite - donc je dirais d'y aller plus doucement car si vous poussez trop, alors vous allez tout casser et vous n'aurez qu'à faire demi-tour vers Brest pour essayer de réparer votre bateau."

"Donc il ne faudra pas trop pousser et essayer de préserver le marin et le bateau. Après deux ou trois jours, les conditions pourraient être bien meilleures",ajoute-t-il. "Alors il sera possible de commencer à pousser le bateau et être le plus performant possible jusqu’à l’arrivée. Ensuite, qui sait ce qui peut se passer ? Même si vous êtes dernier au bout de deux jours de course, rien ne sera encore joué et si le bateau est en bon état, il sera toujours possible de faire un bon résultat."

La seconde moitié de cette Route du Rhum-Destination Guadeloupe semble donc encore bien loin. Cependant, selon Nicolas Lunven, les premiers signes indiquent que le tapis roulant des alizés d'est-nord-est vers l'arrivée pourrait être délicat à trouver.

Ap 221102 0836© Arnaud Pilpré #RDR2022

"Pour l'instant, les alizés ne sont pas du tout établis. Il y a un système de basse pression pour la fin de la semaine prochaine, avec un creux s'étendant très loin au sud, qui va probablement les tuer pendant un certain temps. Il sera donc difficile d'accéder aux alizés la semaine prochaine",souligne-t-il.

Les deux derniers jours d'approche de la Guadeloupe devraient être relativement simples et le positionnement des skippers dans le flux d’est pourrait être décisif et déterminer le vainqueur. "Pour les derniers jours jusqu'à la Guadeloupe, ils auront des alizés, mais la question est de savoir comment ils pourront les attraper", résume Nicolas. 

Le record actuel de la course en IMOCA, pour le parcours de 3 542 milles entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre, est de 12 jours, quatre heures et 38 minutes, établi par François Gabart en 2014. Ce record s’annonce encore difficile à battre à la vue du scénario qui s’offre à la flotte cette année.