Gauthier Lebec Charal 2996 MD

Depuis le classement de mercredi 23 décembre 15 heures, Jérémie Beyou transperce l’océan Indien à une vitesse moyenne de 19,5 nœuds.

En 48 heures, le skipper de Charal a englouti 750 milles et, ce faisant, il a passé tour à tour Manuel Cousin (Groupe Sétin) et Didac Costa (One Planet One Ocean), se montrant désormais menaçant dans le sillage de Stéphane Le Diraison (Time for Oceans).

Cette séquence est la toute première au cours de laquelle s’exprime la pleine puissance des foilers de dernière génération, sur un temps plus long que les runs de vitesse de L’Occitane en Provence, qui a démontré son excellence dans les surfs.

Sur une mer relativement plate, dans 20 nœuds de vent et à 120° de ce vent de Sud-Ouest qui pousse la flotte vers l’Est, la destination du moment, et ce jusqu’au Cap Horn, Charal cavale, avale et déboule avec pour espérance d’intégrer d’ici les Sables-d’Olonne la première moitié du classement.

Rien n’a été épargné au favori. La première banderille, plantée dans le flanc de la bête de course le 11 novembre, a provoqué un retour aux Sables pour réparation. Une poulie de renvoi d’écoute, un choc avec un OFNI et la casse d’une bastaque (câble qui soutient le mât par l’arrière), vraisemblablement causée par la première avarie qui a fait des éclats de carbone devenus des armes par destination ont provoqué le retour de Charal au port, pour trois jours de réparation. Et, pas moins que la tête de la course, qui avait déjà bien avancé, Jérémie Beyou n’a profité de systèmes météo favorables pour l’aider à revenir, jusqu’au Cap de Bonne-Espérance.

Depuis son entrée dans l’océan Indien, le triple vainqueur de la Solitaire du Figaro a effacé 8 concurrents encore en course. Et depuis cette nuit, il occupe la 19e place. S’il est encore loin de ce qu’il pouvait espérer en s’élançant le dimanche 8 novembre à 14h20, le favori de ce Vendée Globe marie désormais l’idée de la performance à la dimension aventurière du Vendée Globe, dont il n’avait jusqu’alors pas imaginé qu’il puisse y être confronté.

A la latitude de 46°S, Charal est toujours dans l’axe de l’île Stewart, la pointe méridionale de la Nouvelle-Zélande, située à 1300 milles de là. Mais son premier objectif sera de rejoindre la longitude de la Tasmanie, 500 milles droit devant, pour entrer dans le Pacifique et écrire une nouvelle page de son épopée.

La belle séquence devrait se prolonger un petit peu. Ce vendredi 25 décembre, Jérémie Beyou avançait encore à belle allure à l’arrière d’un petit anticyclone dans son Nord-Ouest et à l’avant de l’avant-front d’une dépression qui pousse depuis le Sud-Ouest.

Si le skipper de Charal reste encore très haut, c’est sans doute parce qu’il se refuse à aller mettre le museau dans les vents forts de la dépression qui arrive dans son Sud et qui se déplace à belle allure. Dans 48 heures, selon les fichiers météo disponibles à cette heure, cette dépression va venir se tasser contre l’anticyclone qui protège la Nouvelle-Zélande et la Coupe de l’America. Entretemps, Charal n’aura pas eu d’autre choix qu’entrer dans l’arène, et d’en sortir par l’arrière. Là, la mer sera plus perturbée, et Jérémie Beyou devra un peu patienter.

Joint à la vacation du matin, Jérémie Beyou anticipait déjà la situation : « J’espère tout de même qu’après que le front nous aura dépassé, la mer ne sera pas trop croisée. Cela devrait tout de même me faire déborder la Tasmanie et ainsi entrer dans le Pacifique, mais cette dépression que l’on voit sur les fichiers météo depuis plusieurs jours n’est pas vraiment attrayante : on va prendre 40 nœuds avec des rafales à 50 nœuds ! Et un peu vent de travers au début. Mon objectif reste toujours le même : passer le Cap Horn avec un bateau en bon état. En n'étant pas trop loin du groupe qui est devant moi actuellement : Pip Hare, Arnaud Boissières et Alan Roura. Après dans la remontée de l’Atlantique, il y aura des places à se faire…  »

En ce jour de Noël, le solitaire a reçu des messages qui font chaud au cœur : son partenaire de transat Christopher Pratt, Yann Eliès, ami-rival de toujours, Franck Cammas et le vainqueur du Vendée Globe 2016, Armel Le Cléac’h, lui ont apporté leur soutien. Aucun n’ignore la souplesse dont doit faire preuve leur « pote » pour tolérer le grand écart qui s’impose à lui, entre ses ambitions de toujours et ses préoccupations du moment…

Dalin d’une courte tête

Bon vent belle mer, dans le Sud, d’un côté ; mer creusée et 25 nœuds dans une dépression de l’autre. Décalés d’environ 200 milles en latitude, Charlie Dalin (Apivia) et Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) ne vivent pas la même séquence. Nouveau leader, depuis le classement de midi, Charlie Dalin tricote au près dans le vent faible de l’anticyclone avachi sur la zone des glaces. S’il faisait route directe jusqu’à ce matin, le Normand remonte vers le nord pour éviter le cœur de la haute pression. Plus au nord, dans une mer hachée, l’Arcachonnais de cœur avance à petite vitesse également. Son scénario est de traverser la rude dépression dans laquelle il est immiscé et d’en ressortir par le haut pour aller chercher la bascule de vent, pour pointer l’étrave vers le Sud-Est et se recaler sur la trajectoire la plus naturelle vers le Cap Horn.

Acceptera-t-il d’aller jusqu’au bout du plan ? Choisira-t-il de basculer plus tôt, quitte à perdre un peu de terrain, mais pour préserver le bateau ? L’idée que Maître CoQ IV adopte une route pivot qui lui permettrait de garder le contrôle (sa deuxième place n’est que théorique) doit bien trotter dans un coin de sa tête. Au jeu de celui qui fait le moins d’erreurs, Yannick Bestaven excelle depuis le début de ce Vendée Globe, et le choix qu’il effectuera sera forcément le bon.

Les routages partagés quotidiennement par Christian Dumard (Great Circle) et Sébastien Josse, le consultant navigation du Vendée Globe ont, pour la première fois depuis bien longtemps, fait apparaître que les bateaux de tête vont, dans la réalité, plus vite que dans la théorie. Ainsi, l’estimation qui est faite du passage du leader au Cap Horn a gagné une journée en 24 heures. Annoncés le 3 janvier, les leaders devraient finalement passer le 2 janvier… mais nous sommes encore loin de bénéficier de schémas météo limpides à J+4.

A l’instar des deux premiers, Thomas Ruyant fait avec les moyens du bord, et surtout en fonction de la situation météo qui lui est proposée, et qui est légèrement différente depuis trois-quatre jours. A l’arrière de la zone anticyclonique qui végète sur la ZEA, le skipper de LinkedOut  a dû monter au Nord pour éviter les vents mous, et il a vu son écart avec le leader augmenter progressivement. Sa route Nord, confrontée à la position encore très Sud du paquet de chasseurs, l’a fait rétrograder au classement. Mais le Nordiste est déjà dans le bon angle au vent et, à mesure qu’il descendra vers le Sud, il reprendra sa place sur le podium.

Avec quel retard ? C’est cette question qui le faisait maugréer ce matin au téléphone. «  La situation pour moi n’est vraiment pas évidente. Je suis un peu le 'dindon de la farce' : ça part par devant, ça recolle par derrière. Les choix sont difficiles. La question se pose de savoir si je continue dans le Nord pour choper les vents portants de cette dépression ou si je continue au près, ce n’est pas franc. C’est un matin de Noël particulier, j’ai du mal à m’en sortir. Ce n’est pas simple moralement. Devant Yannick (Bestaven) et Charlie (Dalin) vont se barrer, ils auront un bon matelas d’avance au Cap Horn. Je suis dans la situation dans laquelle personne n’a envie d’être. Il va se passer encore beaucoup de choses, mais je suis bien conscient que ce qui est en train de se passer là, c’est une situation météo qui sera importante pour la suite de la course. Elle va donner un avantage de 400 à 500 milles pour les premiers bateaux. La route est longue et je ne lâcherai pas, je resterai à 100% jusqu’au bout. »

En bref

Dans le groupe mené par Boris Herrmann (SeaExplorer – Yacht Club de Monaco), il faudra bien choisir entre la route directe le long de la ZEA, et à petit pas, ou une amorce de remontée vers le Nord. 8e, Benjamin Dutreux sait qu’il devra grimper : les performances de ses voiles de près ne sont pas alignées sur celles de ses rivaux, et il conditionnera bientôt sa route aux allures où OMIA – Water Family est à l’aise.

Le grand vainqueur de ces 24 dernières heures s’appelle Maxime Sorel (V and B – Mayenne), qui est revenu à 25 milles de Giancarlo Pedote (Prysmian Group), lui-même à 30 milles de Dutreux. L’autre élu, c’est Louis Burton (Bureau Vallée 2), qui compte à nouveau moins de 500 milles de retard Apivia.

Après avoir été considérablement secouée par les vents de l’arrière de la dépression qui lui a coupé la route, Clarisse Crémer (Banque Populaire X) est enfin libre ! Avec Romain Attanasio (Pure – Best Western Hôtels et Resorts) et Armel Tripon (L’Occitane en Provence), ont désormais droit à une session de vents moyens à faibles.

D’Alan Roura (La Fabrique) à Didac Costa (One Planet One Ocean), ça file bon train.
21e, Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One) tente un coup en allant chercher dans le Sud les vents soutenus de la dépression qui arrive, juste après la zone AMSA de la zone d’exclusion antarctique. Enfin, dans une vidéo, Sébastien Destremau a montré ses nouvelles réparations sur son système de barre ; il s’inquiète d’un système hydraulique.

Clarisse Crémer, Banque Populaire X

"Joyeux Noël ! Je n’avais pas trop l’esprit à la fête mais ça me fait du bien de me détendre, d’ouvrir mon foie gras et de vous souhaiter un joyeux Noël ! Jusque-là ça me paraissait bien loin tout ça. J’ai réussi à rester juste derrière la dépression. Ce que j’avais un peu sous-estimé - c’est sans doute le manque d’expérience - c’est l’état de la mer en étant juste en bordure du centre de la dépression. Je n’avais jamais eu le bateau qui tapait comme ça. J’avais 27 nœuds et je me disais ‘Merde, je ne vais pas réussir à ralentir suffisamment’. Il y avait 6 mètres de houle. Mais je m’en suis bien sortie. J’étais à deux à l’heure quand j’ai dû faire du près : dans 10 nœuds de vent, j’avais deux ris dans la grand-voile et le J3, ma plus petite voile d’avant. Le dernier recours, c’était de rouler la voile d’avant, mais je n’ai pas eu à le faire. Ce n’était pas très fun. J’étais vraiment à reculons par rapport au but final. Hier je ne faisais pas la maline, ça tapait tellement que je ne tenais même pas à quatre pattes dans le bateau. Je me suis explosée sur le dos en arrière dans le cockpit en allant faire un petit morceau de manœuvre. Ça m’a mis le moral dans les chaussettes, tu es vite en train de te dire ‘Mais qu’est-ce que je fous là ?’. Mais, finalement, c’est plus de peur que de mal, je m’en sors avec un gros bleu dans le dos. J’ai juste un peu mal quand je suis allongée. Je n’ai pas passé un super Noël. J’espère pouvoir me rattraper : j’ai passé l’antiméridien il y a une douzaine d’heures, donc si on prend l’heure des gens qui vivent à ma longitude, pour eux on est le 24 au soir, là, si je ne dis pas bêtises. Donc je peux encore fêter Noël pendant 24h !"

Alexia Barrier, TSE-4MyPlanet

"Je suis un peu lente par rapport à Clément (Giraud) et Miranda (Merron), mais c’est un choix parce que j’avais besoin de ralentir un peu pour effectuer quelques bricolages. Et en sus, j’ai explosé mon gennaker ! Ce n’est pas très grave en soi parce que c’est une journée cool aujourd’hui : le soleil s’est levé sur un joli ciel bleu en ce jour de Noël… Et puis j’avais besoin de me reposer après quelques passages de front actifs. Je prends donc mon temps avant de repartir à fond la caisse. Bon… Je voulais passer le Cap Leeuwin pour Noël, mais ce sera plutôt le 26 ou le 27 décembre. Ce n’est pas grave : un deuxième cap au compteur, c’est top ! Ça me fait toujours tout drôle de regarder sur la carte des pays que je ne connais pas : l’Australie qui est immense, la Nouvelle-Zélande où il y a la Coupe de l’America en ce moment… Je n’avais plus l’habitude d’avoir une terre aussi proche de mon bateau. Et puis quand je vois le nom des îles du Pacifique, ça me fait rêver ! Il fait super froid et quand le ciel est gris, cela fait une ambiance particulière… C’est vraiment un endroit étrange l’océan Indien. Le contraste entre ce que vous vivez à terre et ce que l’on voit en mer à l’autre bout de la planète, c’est incroyable… Et c’est mon premier Noël en mer ! Et ce sera pareil pour le jour de l’An à venir ! "

Vendée Globe