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Directrice du célèbre centre d'entraînement du Pôle Finistère Course au Large - où sont basés 12 IMOCA, dont de nombreux bateaux actuellement aux avant-postes, Jeanne Grégoire connaît la Classe comme personne.

Entre ses nombreuses responsabilités, elle garde un œil sur la Route du Rhum-Destination Guadeloupe qui, aujourd'hui, à l'issue du neuvième jour de mer, a connu son premier changement de leader depuis le lendemain du départ.

Alors que les IMOCA en tête de flotte empannent vers l'ouest dans les alizés, à un peu plus de 1 000 milles de l'arrivée, Thomas Ruyant, sur LinkedOut, devance de quelques milles le leader historique Charlie Dalin sur APIVIA 1.

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Les deux skippers se disputent chaque longueur de bateau au sein d'une compétition qui, selon Jeanne Grégoire, n'est pas sans rappeler une autre épreuve légendaire française. "C'est comme la Solitaire du Figaro en IMOCA et nous aimons vraiment ça !" dit-elle.

Pour elle, cette édition est passionnante car elle ne s'est pas limitée au seul paramètre de la vitesse des bateaux. "Depuis le départ, c'est une course géniale car ce n’est pas juste une course de vitesse, il y a beaucoup de tactique. C’est donc passionnant de voir comment les skippers ont géré cela jusqu’ici", déclare-t-elle au sujet d'un Rhum qui a vu la flotte traverser trois fronts météorologiques actifs et des zones de vents légers entre chaque.

Jeanne Grégoire

"Depuis le début de l'année, dans la flotte IMOCA, nous avons eu des courses de vitesse, plus que de stratégie. Je pense que même si Charlie a un gros avantage sur les autres en vitesse au près, on voit ses rivaux - comme Thomas, Jérémie (Beyou), Paul (Meilhat) et Kevin (Escoffier) - réaliser de grosses courses tactiques et c'est super à suivre", ajoute-t-elle.

Selon elle, la course a toujours été légèrement unilatérale, car le tableau météorologique du début de course rendait toute option vers le nord plus ou moins inutilisable et la route vers le sud impliquait toujours d'affronter des conditions plus légères et disparates. "Nous savions dès le début que ce serait une course délicate, car personne ne pouvait aller chercher des conditions de vent fort sur le nord du parcours, donc tout le monde s'attendait à ce que ce soit difficile de traverser la dorsale et d’attraper les alizés – et c’est exactement ce qu’il s’est passé, ce qui est super intéressant", poursuit-elle.

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Alors que de nombreux observateurs se concentrent sur les différences de génération entre les IMOCA - ceux conçus pour le Vendée Globe 2020 par rapport à la génération 2024 par exemple - Jeanne Grégoire nous rappelle que les choix stratégiques des skippers sont tout aussi importants pour expliquer le déroulement de la course.

"On voit que la flotte est divisée en plusieurs niveaux avec les sept premiers et un gros groupe derrière eux. On voit qu'il y a une vraie différence. C'est un grand écart qui ne s'explique pas seulement par l'âge et les performances des bateaux, mais plutôt par les routes que les skippers ont choisi de suivre. Faire ces choix stratégiques correctement demande beaucoup d'expérience et d'expertise", explique-t-elle.

Lors des récentes sessions d'entraînement à Port-la-Forêt, l'accent a été mis sur le choix des bons réglages de trim (et donc de l’assiette du bateau) sur les IMOCA et sur le réglage rapide des bateaux lorsque les conditions changent - exactement le genre de compétences qui sont maintenant requises dans les alizés qui semblent présents sur une large zone mais qui sont irréguliers et variables en force et en direction.

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En discutant avec elle, on se rend compte qu'il s'agit d'un défi pluridisciplinaire - elle mentionne l'importance de "gérer le bateau" à tout moment, de choisir le bon angle de navigation et la bonne voile, de bien régler la quille et les foils, et de s'assurer que le bateau est correctement équilibré avec un matossage des voiles et des vivres réfléchi. Selon elle, les choix de voile effectués avant le départ pourraient avoir un rôle décisif lorsque les bateaux se rapprocheront de la Guadeloupe au portant. "Depuis le début de l'année, la question entre les skippers est de savoir s'il faut ou non emporter un spinnaker - nous allons donc voir qui en a un ou pas dans les prochains jours", confie-t-il.

Jeanne Grégoire pense également que le sommeil est une denrée que l'on goûtera à petites doses sur ces derniers jours avant l'arrivée. "Je ne pense pas qu'ils dorment beaucoup", déclare-t-elle. "Mais je ne suis pas inquiète à ce sujet. Bien sûr, vous pouvez faire un empannage au mauvais moment, ou avoir le matossage au mauvais endroit pendant quelques heures, mais les meilleurs skippers ont suffisamment d'expérience pour ne pas s'endormir au mauvais moment."

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L’ex-figariste a aussi relevé quelques performances remarquables. Elle est impressionnée par la course de Justine Mettraux sur son IMOCA Teamwork. La skipper suisse occupe actuellement la septième place après une option dans le nord des Açores qui s'est avérée payante. "Je ne pensais pas que ça allait marcher, mais je suis vraiment contente qu'elle ait réussi", résume Jeanne Grégoire.

Comme beaucoup d'autres, elle a également été impressionnée par la performance de Paul Meilhat sur Biotherm, qui a réussi à rester dans le groupe de tête avec un bateau qui n'avait que quelques milles sous la quille au départ. "Je suis vraiment impressionnée par Paul car lorsqu'il a pris la mer, son objectif était d'atteindre la Guadeloupe et pensait que son bateau ne serait pas en mesure de courir à ce niveau dans la flotte."

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Maxime Sorel sur V and B-Monbana-Mayenne, actuellement en sixième position, a pour elle, "très bien géré son bateau". Sur Boris Herrmann ; Malizia SeaExplorer (23e) : "Je pense que le bateau n'est pas vraiment prêt ; il n'a pas eu le temps de trouver les bons réglages." Sur Sam Davies ; Initiatives-Coeur (28e) : "Je pense que Sam n'a pas voulu prendre des risques et naviguer dans des conditions de vent fort."

Jeanne a également souligné la ténacité de Benjamin Dutreux, actuellement en huitième position sur Guyot Environnement-Water Family, qui s'est battu pour rester devant Yannick Bestaven sur Maître CoQ V, Romain Attanasio sur Fortinet-Best Western et Nicolas Troussel sur CORUM L'Épargne sur le versant sud du parcours.

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Parmi le duo de tête, elle avoue qu'elle espère une victoire de Charlie Dalin pour sa dernière course sur APIVIA 1 : "J'espère pour Charlie qu'il va gagner. Je pense que ce serait une très bonne chose pour lui de terminer cette histoire avec ce bateau par une belle victoire, d'autant qu'il avait pris les honneurs de la ligne sur le Vendée Globe mais ne l'a pas gagné (compensations de temps liées à l’accident de Kevin)", confie-t-elle.

Mais elle prévient qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir et chaque skipper aura des coups à jouer jusqu'aux derniers milles."La course n'est pas terminée", affirme-t-elle. "C'est sûr qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Les alizés peuvent encore être très délicats - vous pouvez naviguer sous des nuages qui peuvent vous arrêter et puis vous devez contourner l'île de la Guadeloupe, donc c'est sûr que cette course n'est pas terminée."

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Les premiers IMOCA sont attendus sur la ligne d'arrivée à Pointe-à-Pitre en fin de week-end. Bien entendu, tous les membres de la Classe ont été profondément choqués et attristés par la tragédie qui s'est produite lors de l’arrivée du premier Ultim mercredi matin. Tous les skippers IMOCA de cette course sont au courant de ce qu'il s'est passé et tous ont une pensée pour les familles de ceux qui ont perdu des êtres chers. Jeanne rappelle que même si la course se poursuit et qu'un vainqueur sera sacré, il ne s'agira pas d'une arrivée normale. "Nous ne pouvons pas oublier que l'atmosphère en Guadeloupe est vraiment difficile en raison des récents événements", conclut-elle.

Ed Gorman (traduit de l’Anglais)