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Au sein de l’IMOCA, les histoires de persévérance, de détermination et de voyages contre vents et marées sont nombreuses. Et celle de l'un des derniers skippers à avoir rejoint les rangs de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe est vraiment à couper le souffle.

Jingkun Xu, 33 ans, est arrivé dans cette aventure à Saint-Malo après le plus improbable des voyages : un chemin de vie remarquable qui l'a mené jusqu'ici, et sans parler de ce qui est à venir.

Jingkun est né dans une famille modeste de fermiers chinois installée dans les collines surplombant Qingdao, récemment renommée la "ville de la voile". Il était donc destiné à reprendre l’exploitation familiale mais tout ne s'est pas passé comme prévu. À l'âge de 12 ans, Jingkun subit un grave accident lors d’un feu d'artifice et doit se faire amputer du bras gauche jusqu’au coude. Sans surprise, on lui dit que sa vie est ruinée.

Néanmoins, le jeune garçon est déterminé à ce que sa blessure ne le définisse pas et saisit l'idée de rejoindre la toute nouvelle équipe paralympique chinoise. Ainsi, au lieu de voir sa blessure comme un frein, celle-ci devient une opportunité. Il a alors le choix entre la voile, le vélo et la course à pied, et même s'il n’a jamais vu la mer ou même un bateau, il choisit la voile.

En 2008, avec deux équipiers, il termine 10ème sur 14 en Classe Sonar lors d’une régate paralympique de Qingdao. À cette époque, Jingkun lisait les exploits de la navigatrice britannique Ellen MacArthur. C’est alors qu’inspiré par son exemple, son rêve de Vendée Globe naît.

En 2012, il part faire le tour de la côte chinoise à bord d'un quillard de 24 pieds, trouvé dans une décharge et entièrement remis en état. Il enchaîne en 2015 en devenant le premier marin chinois à terminer la Mini Transat, 36ème sur 43 bateaux de série.

Puis, accompagné de sa femme, Sofia, il s’aventure sur un tour du monde. Pendant trois ans, il parcour 34 000 milles et visite 40 pays à bord d’un catamaran Lagoon sans pilote automatique. A son retour en Chine en juin 2020, Jingkun devient moniteur de voile et crée sa propre école de voile à Qingdao, il devient alors un vrai ambassadeur de ce sport dans son pays. Puis, les mois passant, le marin chinois, certain de vouloir faire le Vendée Globe, jète donc son dévolu sur l’ancien IMOCA d’Alan Roura, un plan Finot-Conq de 2007.

Aujourd'hui, il est sur le point de participer à sa toute première course en IMOCA après plusieurs mois de préparation frénétique du bateau et de la vie à bord. Ne disposant pas encore de sponsoring, il est parti de zéro et n'a eu que très peu de temps d’entraînement sur son monocoque, baptisé "China Dream Haikou", du nom de la ville chinoise où il vit.

La Route du Rhum est dans son viseur, mais le rêve reste le Vendée Globe et Jingkun va tout faire pour faire partie des 40 skippers sur la ligne de départ. "C'est ma première course en IMOCA et ma première Route du Rhum", déclare-t-il en anglais dans le cockpit de son bateau. "Mais à long terme, mon objectif est de participer au Vendée Globe. Pour mon projet, je sais que je dois finir la Route du Rhum. Je dois prendre soin du bateau et finir la course."

"Je fais tout tout seul,”explique-t-il, “donc je n'ai eu que deux ou trois séances d'entraînement. Au début, c'est très dur, ce n'est pas un bateau facile, mais c'est une bonne chose car j'ai fait tout le travail à bord, donc j'apprends vite. J’en ai appris beaucoup sur l'électricité et la technologie, donc maintenant je peux gérer le bateau, mais j'ai encore beaucoup à apprendre sur la navigation."

Jingkun n'est pas le seul marin de la flotte IMOCA à n'avoir qu'une seule main, puisqu'il suit les traces du Français Damien Seguin. Les deux hommes se connaissent depuis des années, depuis leurs années paralympiques. Comme Damien Seguin a pu le faire sur son Groupe APICIL, Jingkun aimerait développer certaines adaptations sur son bateau pour compenser la perte de son avant-bras, mais cela n’est pas évident du fait de la hauteur de son amputation.


"Rien n'a été fait"
, explique-t-il. "Je n'ai pas eu le temps. Au lieu d'adapter le bateau, je préfère, et c'est beaucoup plus facile, m’adapter moi-même. Je change ma façon de faire les choses pour m'adapter à ce bateau."

Jingkun admet qu'il est à la fois nerveux et excité de rejoindre les rangs de l’IMOCA et de participer à l'une des courses les plus emblématiques du circuit. Il a chaleureusement été accueilli par ses collègues skippers. "Je connais beaucoup de marins car nous avons fait la Mini Transat ensemble en 2015. Donc quand je suis arrivé ici, je ne me suis pas senti étranger. Lorsque je préparais la Mini Transat, j’ai rencontré plein de personnes impliquées dans la voile et de nombreux marins aussi,”déclare-t-il.

L'un des nombreux aspects impressionnants de cette histoire est aussi le suivi du projet de Jingkun en Chine sur les réseaux sociaux. Il est aujourd’hui bien plus important que tous les autres skippers IMOCA réunis. Sur Weibo (un équivalent de Twitter en Chine), plus de 130 millions de personnes suivent le projet et plus de 300 millions de Chinois devraient suivre le départ de la course en direct dimanche 6 novembre.

Déjà deux fois "Marin de l'année" en Chine, Jingkun espère que ses exploits inspireront d'autres jeunes marins chinois à réaliser leurs rêves. "Je suis super heureux et je suis impressionné par toutes les personnes qui me suivent”, déclare-t-il. "Je suis surpris et chanceux d'avoir autant de personnes qui me soutiennent. C’est sans doute parce que nous sommes la première équipe chinoise à courir en IMOCA. Nous avons travaillé très dur cette année et nous avons essayé de filmer un maximum de ce que nous faisions (une équipe de télévision était aussi présente lors de l’interview), et la Route du Rhum est ce pourquoi nous avons travaillé et nous espérons que cela fera découvrir aux gens notre équipe et la course au large à l’autre bout du monde."

C'est ainsi que l'aventure commence alors que Jingkun entreprend sa deuxième traversée de l'Atlantique en solitaire, cette fois-ci jusqu'en Guadeloupe. A l’issue de la course, il ramènera son IMOCA en France afin de continuer son épopée vers le Vendée Globe.

Pendant notre entretien, Sofia était la traductrice lorsque son mari ne trouvait pas les mots en anglais. En quittant le bateau, je lui ai demandé si elle était nerveuse à l'idée qu'il parte sur un bateau à foils si puissant qu'il a eu très peu de temps pour appréhender. "Non, je ne suis pas nerveuse", nous a-t-elle répondu. "J'ai confiance en ses capacités. Ce n'est pas un aventurier inconscient - il ne fera que des choses qu'il saura gérer."

Ed Gorman (traduit de l’Anglais)