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La durabilité et la diversité sont les mots d'ordre de toute entreprise moderne aujourd'hui, tout comme l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. A cet égard, les choses évoluent de manière spectaculaire au sein des équipes de course au large IMOCA, les femmes étant de plus en plus nombreuses à des rôles clés.

Sur les 37 skippers IMOCA qui partiront en solitaire le 6 novembre de Saint-Malo sur la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, pas moins de 20 ont confié la direction de leur projet à des femmes.

Il s'agit d'une situation remarquable si on la compare à celle d'il y a quelques années. Les pionnières dans ce rôle ont été les femmes de skippers qui assumaient souvent la gestion d’un programme à budget contraint, tout en assumant la vie de famille. C’est encore le cas aujourd’hui dans plusieurs projets mais avec une professionnalisation grandissante du rôle de team manager due notamment à des saisons IMOCA GLOBE SERIES bien plus denses qu’auparavant.

Par ailleurs, aujourd'hui, de plus en plus d'équipes engagées dans des programmes techniques et sportifs ultra exigeants sont dirigées par des femmes. C’est le cas notamment, de quatre des cinq équipes qui ont choisi de participer à The Ocean Race en janvier 2023, à suivre de la Route du Rhum et en plus des autres courses IMOCA.

220913 ES IMOCA 153© Eloi Stichelbaut - polaRYSE / IMOCA

Parmi elles, la Française Marine Derrien, team manager du projet Holcim-PRB, composé de 25 personnes et représenté sur l’eau par Kevin Escoffier. Marine est bien connue dans le monde de la voile comme une opératrice très efficace, dotée d'une éthique de travail inégalée, sur laquelle on peut compter à tout moment.

"Aujourd’hui, les projets sont de plus en plus gros et c’est pourquoi les équipes ne recherchent pas que des femmes pour être team managers, mais plutôt des personnes comme moi, qui connaissent notre environnement et ont gagné en expérience au fil des différents projets," explique celle qui a été ‘shore team manager’ pour Dongfeng Race Team et les Extreme Sailing Series, ‘event manager’ pour Luna Rossa sur l’America’s Cup et sur d’autres grandes courses comme la Route du Rhum et The Transat. "Je pense que cela souligne également que le monde change. Les femmes ont plus de responsabilités et nous sommes plus impliquées, et cela aussi grâce aux skippers qui sont également favorables à la diversité dans la voile", ajoute-t-elle.

HUBLOT 280622 Team JLC015 1© Jean-Louis Carli

Au sein du Hublot Sailing Team, qui soutient le skipper suisse Alan Roura, Allyson Mousselon occupe le poste de team manager depuis janvier. Cette ingénieure, qui a travaillé dans le domaine de l’industrie en tant que chef de projet au sein de la multinationale française Fives Group, occupe son premier poste dans le domaine de la voile et elle adore ça.

"C'est génial", dit-elle. "En fait, pour moi, une partie du travail est très similaire à ce que je faisais avant et c'est la raison pour laquelle j'ai été engagée. Donner le rythme - s'assurer que tout se passe comme prévu et que nous anticipons les choses... et gérer les budgets."
 
Allyson, 37 ans, mariée à l'architecte naval Olivier Mousselon et passionnée de catamaran F16, n’est pas certaine des raisons de cette présence grandissante des femmes dans la gestion des équipes. "Je n'y ai pas vraiment réfléchi", dit-elle. "Mais instinctivement je dirais que cela vient peut-être de notre aisance à gérer une équipe et notre façon différente de le faire. Nous le faisons différemment que les hommes. Nous pouvons faire preuve de fermeté tout en restant souple et c'est peut-être une raison pour laquelle il y a plus de femmes."

"Et en termes de compétences, il n'y a aucune raison pour qu'une femme ne soit pas capable de gérer la préparation d'un skipper ou de mener des discussions avec l’IMOCA et les organisateurs de courses," ajoute-t-elle.

Alan Roura dit avoir été impressionné par la manière dont Allyson a abordé le poste et l'expérience qu'elle pouvait apporter à l’équipe. "Le fait de ne jamais avoir travaillé dans la voile auparavant n'était pas un problème. Lorsque nous avons commencé à discuter, elle m'a dit : "Je sais que je suis la personne qu'il vous faut ; je peux offrir quelque chose que les autres n’ont pas", se souvient-il. "C'est quelque chose que personne ne m'avait dit auparavant et j'aime vraiment cette façon de penser qui consiste à dire 'vous savez quoi, je ne viens pas de la voile, je viens de l'industrie, mais je sais que je peux aider et voici comment."

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Comme beaucoup d'autres femmes occupant des postes à responsabilité dans les rangs de l'IMOCA, Holly Cova, ancienne avocate d'affaires anglaise de 33 ans, qui dirige le Team Malizia de Boris Herrmann, affirme que lorsqu’elle a pris son poste de team manager, les personnes qu'elle croisait ne la pensait pas à la direction.

"On remet moins mon poste en question qu’en 2018 lorsque j’ai rejoint l’équipe," dit-elle, "les gens pensaient que j'étais la femme de Boris, ou son assistante, ou parfois la personne chargée des réseaux sociaux. Et ça arrive encore qu’on me dise 'oh, vous devez être la femme de Boris'." Je dis 'non, c'est une autre femme. En fait, je dirige son équipe.’ Si j'avais gagné un euro à chaque fois que quelqu'un m'avait regardé sans supposer quel était vraiment mon travail, je serais très riche !"

Marine Derrien affirme qu’il lui a fallu du temps pour imposer son autorité à son équipe et qu'au départ, le fait d'être une femme n'a pas aidé. "Historiquement, les personnes qui dirigeaient les équipes étaient des anciens marins qui ensuite devenaient team managers", dit-elle. "Donc l'équipe technique croyait plus en ces gars-là qu'en moi - au début. Mais ensuite, ils ont vu que j'apportais des éléments différents au rôle - plus de gestion, plus d'esprit d'équipe et un accent sur l'aide de chacune des personnes afin de trouver la meilleure façon de faire leur travail. Aujourd'hui, après un an et demi, ils comprennent parfaitement mon rôle. Au début, ils pensaient que je ne faisais que remplir des factures, maintenant ils comprennent que je suis à la tête de l'entreprise".

Le fait d'avoir des femmes comme team managers a déjà un effet d'entraînement qui permet à davantage de femmes d'occuper des postes dans les équipes IMOCA. Holly Cova dit que les femmes qu'elle connaît dans ce sport aiment le fait que des professionnelles dirigent et qu'elles peuvent être elles-mêmes dans ce rôle. "C'est une ambiance super sympa", dit-elle, "et c'est aussi rafraîchissant parce que peut-être que dans le passé, en tant que femme dans ce rôle, on attendait d'elle qu'elle soit assez sérieuse, qu'elle s'habille de la bonne façon et tout ça, ce qui est évidemment absurde. Aujourd'hui, c'est comme si vous pouviez être une femme, faire tout aussi bien et avoir l'apparence que vous voulez, et cela n'a pas d'importance parce que nous sommes tous ensemble et que nous nous respectons les uns les autres."

2021 01 08 entrainement clarisse 2020 credit martin keruzore bpce 3474© Martin Keruzore/BPCE

Un autre objectif de l'IMOCA est de promouvoir les femmes navigatrices et d'augmenter le nombre de femmes skippers. Sur la Route du Rhum 2022, l'IMOCA est la catégorie la plus mixte même si elles ne sont 'que' quatre femmes au départ. Il y avait six femmes sur la ligne de départ du dernier Vendée Globe et la Classe souhaite en avoir plus à l'avenir. Marine Derrien applaudit la création de parcours féminins, sur des événements comme la Women's America's Cup et SailGP, et elle souhaite voir plus de femmes prendre le rôle de skipper en IMOCA, mais un projet entièrement féminin ne l'intéresserait pas.

"J'adorerais être plus impliquée pour aider les femmes à entrer davantage dans le sport", affirme-t-elle, "mais je ne veux pas être une fille manager d'une équipe de filles, travaillant pour une femme skipper ; je pense que la diversité et une approche mixte des équipes sont importantes."

Holly Cova pense que l'augmentation de la participation féminine dans les équipes ne peut que contribuer à attirer des navigatrices dans l’IMOCA. "Je pense que cela va amener plus de femmes skippers dans le sport. Par exemple, dans notre équipe, nous avons maintenant presque autant d’hommes que de femmes... et je ressens la même chose du côté sportif - vous pouvez rendre les choses plus accessibles aux femmes qui souhaiteraient rejoindre l'équipe", confie-t-elle.

52338311268 172638c6ab k© ©Yann Riou - polaRYSE / Oscar Copyrighted For editorial uses only. contact@polaryse.com

En ce qui concerne les qualités que les femmes apportent aux postes de direction, il est difficile de généraliser, mais Allyson Mousselon reconnaît que l'intelligence émotionnelle est un atout majeur dans une équipe. En effet, le monde de l'IMOCA est loin d'être normal : il s'agit d'envoyer des marins, seuls, en double ou en équipage, sur les mers du globe avec toutes les difficultés que cela peut engendrer.

"La grande différence entre ce poste et mon ancien travail, et c'est ce que j’aime, c'est qu'il y a beaucoup d'émotions et de sentiments dans ce rôle et c'est quelque chose que vous n'avez pas dans les entreprises dites ‘normales’,"explique-t-elle. "Si nous perdions un contrat ou si l'industrie avait une semaine de retard, nous pouvions être déçus ou notre patron pouvait être contrarié. Ici, si Alan doit abandonner une course ou s'il y a un problème technique sur le bateau, tout le monde est très impliqué. Et l'inverse est vrai quand tout va bien - s'il part en milieu de flotte et gagne au classement, c'est une source de grande satisfaction pour nous tous."

Nous avons demandé à Allyson si l'émergence d'un si grand nombre de femmes dans des rôles clés a modifié l'équilibre entre les sexes en IMOCA - la Classe est-elle encore un monde d'hommes ? "Je dirais que c'est toujours un monde d'hommes", a-t-elle répondu. "Mais il évolue dans le bon sens et je ne vois pas pourquoi il y aurait un retour en arrière".

Ed Gorman (traduit de l’Anglais)