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La goélette Tara est à Aarhus avec l'équipe Biotherm de Paul Meilhat sur l'escale de The Ocean Race. Nous avons échangé avec le directeur général de la fondation, Romain Troublé.

Romain, vous êtes directeur général de la Fondation Tara Océan depuis presque 20 ans mais vous avez d’abord été marin, notamment sur l'America's Cup et différents trimarans. Nous sommes aujourd’hui à bord de la goélette Tara, à Aarhus. Comment un bateau d’expédition scientifique se retrouve ici, au départ de la Leg 6 de The Ocean Race ?

Romain Troublé : "Nous sommes à Aarhus avec Tara dans le cadre d’une mission de deux ans, autour des côtes européennes sur la biodiversité littorale. Nous nous intéressons à la pollution chimique qui coule des bassins versants, des rivières, des ports, sur les écosystèmes littoraux."

Comment fait-on de la science bord d’un voilier ?

RT : "Tara est un bateau spacieux et solide équipé d’instruments scientifiques sur lequel sont présents de nombreux chercheurs. Ce sont des critères qui facilitent les opérations scientifiques.

Sur un IMOCA, c’est un peu plus compliqué car il y a peu de place, le bateau ne touche pas constamment l’eau avec les foils, le temps est quelque chose de précieux et les marins ne sont pas nombreux sur le bateau.

Mais ce qui est intéressant avec les IMOCA, c’est qu’ils sillonnent la planète et se rendent dans des endroits où peu d’autres bateaux vont, notamment l’océan Austral avec le Vendée Globe et The Ocean Race. Le but est également de pouvoir démultiplier les points de mesure.

Aujourd’hui, nous avons des satellites qui regardent la surface, la couleur de l’eau, la température, les vagues, mais nous avons peu d’informations sur la biologie marine. C’est le coeur de ce que fait Tara : nous étudions la vie !"

Quels types d’instruments sont emmenés à bord d’un bateau de course ? Quels types de données sont collectées ?

RT : "Sur un bateau de course, il y a deux options : soit chaque bateau a des capteurs différents car ils vont tous au même endroit, soit chaque bateau a des capteurs similaires et on peut regarder les même choses à des moments différents de la course.

Avec les IMOCA, on travaille plutôt sur la première option aujourd’hui. Avant de déployer ces capteurs à grande échelle, nous devons les fiabiliser. Il y a encore beaucoup de travail sur ces derniers et sur la chaîne du traitement des données. Beaucoup de mesures sont faites sur la chimie de l’Océan, la salinité, la température, la chlorophylle, qui est un indicateur intéressant sur la vie dans l’eau. Il y a aussi des mesures faites sur les microplastiques, qui sont plus compliqués à étudier car il n’y a pas de processus de collecte standardisé. C’est un sujet à creuser.

Avec Tara, l’équipage de Biotherm et Paul Meilhat, nous avons mis en place à bord de l’IMOCA un équipement que nous avons sur la goélette depuis 10 ans. C’est un microscope automatique, qui regarde la vie marine.

C’est une nouvelle étape dans l’appareillage de ces bateaux car nous n’avons jamais réellement regardé cette partie de la mer qui est pourtant indispensable à comprendre ! C’est grâce à cette vie marine, notamment avec les phytoplanctons et toutes les algues marines, que l'on arrive à comprendre des processus comme la pompe à carbone de l’Océan."

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Quelles sont les zones les plus intéressantes pour les scientifiques ?

RT : "Les zones éloignées comme les mers du Sud sont intéressantes car les navires scientifiques n’y vont pas en raison des conditions ; mais c’est aussi intéressant de repasser sur les mêmes zones."

Est-ce important pour la science d’obtenir des contributions de navires d’opportunités ? Quels sont les bénéfices de ces contributions ?

RT : "Il y a plusieurs approches. La difficulté est de mener des projets de recherche qui aboutissent à des données fiables et des publications scientifiques.

L’Océan est grand, dynamique et complexe. Nous arrivons à prédire les courants, la météo, les vagues, le vent, mais prédire comment l’écosystème marin se comporte est très compliqué. Nous avons besoin de beaucoup de données pour le faire.

La partie la plus simple est de collecter des données et de les mettre dans la base de données internationale et ainsi, de contribuer à l’effort global de recherche, mais sans avoir de finalité écrite du début à la fin d’une histoire. Il faut réfléchir en amont où vont aller les données récoltées et à quelles questions scientifiques ces dernières vont répondre.

Ce que nous essayons de faire avec Tara, c’est d’essayer d'écrire une histoire de A à Z, tout en gérant des données de bonne qualité avec les laboratoires partenaires du projet. Dans un projet de collaboration scientifique, il y a la partie scientifique très fondamentale et très technique, qui doit être construite et fiabilisé en amont. Mais il y aussi la médiation et la valorisation de ces enjeux.

En ce qui concerne les IMOCA, chaque skipper est une plateforme pour parler des enjeux, expliquer et répéter régulièrement qu’on a besoin de plus de connaissances, besoin de protéger l’Océan et que la science doit être soutenue et financée. Si chaque équipe pouvait investir 100 000 euros dans un projet scientifique sur 4 ans, ce serait une très belle avancée ..."

Propos receuillis par l'IMOCA à Aarhus