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Lorsque vous avez 33 skippers sur une course comme le Vendée Globe, il est possible de négliger les détails de ce qui arrive à certains d'entre eux et d’autant plus s'ils sont contraints d’abandonner.

Pourtant, certains comme Sam Davies (attendue ce vendredi aux Sables d’Olonne) ou encore Isabelle Joschke (arrivée hier) décident de repartir et de terminer leur tour du monde hors course. Mais que cela implique-t-il pour ces marins ?

L’expérience de Sam Davies sur ce Vendée Globe nous rappelle que naviguer en solitaire autour du monde reste une aventure extraordinaire qui exige une résistance mentale que peu d'individus possèdent.

Pour Sam, le moment de vérité fut le jour où elle a décidé de poursuivre son tour du monde et de repartir du Cap pour boucler la boucle. Son bateau, Initiatives-cœur, y est resté pendant deux semaines pour y être réparé après une violente collision survenue au large de l’Afrique du Sud. A ce moment-là, deux possibilités s’offraient à elle : tourner à droite et rentrer en France par le chemin le plus court… ou bien tourner à gauche et s’attaquer au Grand Sud…

Sam depart du cap

Et c’est cette dernière qu’elle a choisie : Sam a donc repris sa route, avec plus de 900 miles de retard sur les derniers concurrents de la flotte. Une décision difficile et courageuse car son IMOCA Initiatives-Cœur est alors apparu de façon floutée sur la cartographie officielle, signifiant son statut "hors course".

Depuis le début, Sam et son équipe ont toujours pensé que si elle était contrainte de mettre fin à la compétition, elle repartirait pour finir son tour du monde, même si cela supposait, par exemple, d'envoyer un mât de rechange là où le bateau serait. Tous avaient la volonté de faire profiter au maximum de ce tour du monde à l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque qui réalise des opérations vitales destinées à des enfants souffrant de malformations cardiaques et issus de pays en voie de développement. Or, rentrer au plus vite en France aurait eu un effet limité, lorsque l’on sait que chaque opération coûte 12 000 euros.

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Sam Davies, 46 ans, était donc prête à mettre le clignotant à gauche, malgré qu’elle soit encore très marquée par le choc subi. La navigatrice a dû ensuite lutter contre la solitude et supporter la douleur de ses côtes cassées dans l’accident. Sam devait aussi affronter le traumatisme laissé par ce moment terrifiant où sa course s’est arrêtée net, sur un choc similaire à celui qu’ont connu Alex Thomson et Neil McDonald durant la Transat Jacques Vabre 2019.

« Je me suis fait terriblement peur dans cet accident. Au début, lorsque je commençais à accélérer à plus de 15 nœuds, je ne pensais qu’à ça et m’inquiétais pour le bateau. Nous venions juste de terminer une grosse réparation et je reprenais ma route directement dans les mers du Sud sans avoir pu vraiment prendre le temps de tout tester avant. Il y avait donc toujours des doutes : A-t-on oublié quelque chose ? Est-ce que tout va bien ? Est-ce qu’il peut encore y avoir des conséquences de l’accident ? »

Puis vint ce frisson d'être seule dans les mers les plus sauvages et les plus éloignées de toute terre et toutes ces choses qu’elle ne s’était pas préparée à vivre. « J'ai pensé que ce serait amusant », déclarait-elle hier au téléphone, en approche du Cap Finisterre. « J'aime la voile, j'aime mon bateau et j'ai pensé que ce serait cool de finir ce tour du monde comme une croisière, mais en fait je me sentais très seule. Ces dernières années, je suis devenue de plus en plus compétitive et j'ai la chance d'avoir un bateau incroyable et d'être accompagnée d'une équipe formidable. J'ai pu régater pas loin de Boris (Herrmann), de Kevin (Escoffier), d'Isa (Joschke) et d'un bon groupe jusqu'à mon accident. »

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« Puis, quand je suis repartie du Cap, j'étais derrière tout le monde. Je me suis sentie si seule et ces marins étaient si loin ! Je n'avais aucun moyen de les rattraper. J'avais peur que quelque chose d'autre casse sur le bateau, alors je ne voulais pas pousser trop fort. Ce n'était pas la même sensation que celle à laquelle je suis habituée quand je navigue en course. C'était un peu effrayant d'être si loin dernière. Si quelque chose arrivait sur la course, j'étais là pour aider les autres, mais à l'inverse, personne n'était derrière moi... »

Il faut beaucoup de courage pour faire ce qu’a fait la Britannique et elle a finalement été récompensée en rattrapant certains concurrents, Ari Huusela et Alexia Barrier, qui sont encore en course. Le long trajet retour n’était pas simple car son IMOCA a souffert d'autres soucis techniques au fil des semaines, avec notamment un problème de vérin de quille apparu dès son entrée dans l'Atlantique, forçant le skipper à naviguer avec sa quille bloquée dans l’axe. Elle a aussi failli perdre son mât lorsque l'axe qui retenait son étai de J2 s’est cassé, l’obligeant alors à monter au mât pour couper l’étai. Tous ses aériens (instruments donnant les indications sur le vent) sont aussi tombés en panne. Finalement, la compétitrice a dû rentrer aux Sables d’Olonne en "boitant", rêvant déjà de préparer la Transat Jacques Vabre cet automne dans de bonnes conditions.

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Comme elle, Romain Attanasio, son compagnon, mais aussi skipper sur ce Vendée Globe, avait pensé avant le départ que, Initiatives-Cœur arriverait avant son IMOCA PURE-Best Western, le bateau de Sam étant plus rapide. C’est elle qui aurait dû rentrer à la maison et embrasser Ruben, leur fils de 9 ans, la première. Mais finalement, c’est Romain qui a pu retrouver son foyer le premier, après s’être emparé de la 14ème place il y a quelques jours. Sam a donc partagé sa joie à distance, alors qu’elle naviguait au large de Recife.

« L’arrivée de Romain a été l’un des moments les plus difficiles, » se souvient-elle. « Nous avions en quelque sorte imaginé que ce serait l'inverse et j'étais vraiment triste de ne pas pouvoir être présente. Néanmoins, je pense que cela fait partie de l'aventure et Ruben avait l'air si fier d'être là, seul, pour accueillir son papa. J'ai vu des photos d'eux et ils avaient l'air si heureux. D'une certaine manière, c'était également un soulagement de savoir que notre fils avait retrouvé au moins l’un de ses parents. »

Il est certain que le skipper a compté les jours qui lui restaient avant de pouvoir retrouver sa moitié et son fils. « Les revoir est l’une de mes motivations à continuer et à finir ce tour du monde car je sais que Ruben comprend ce que représente cette aventure. Je me souviens lui avoir parlé au téléphone quand j’étais au Cap et il m'a dit « Maman, tu ne vas pas rentrer à la maison, n'est-ce pas ? »C'était presque sa façon à lui de me dire « c’est bien de continuer et je serai fier de toi si tu le fais. » J’ai tellement hâte de les voir et de rattraper le temps perdu. Cela a été si intense pour nous tous et il y aura tellement de choses à rattraper et à partager une fois réunis. »

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Ce qui fait que ce voyage est si unique et exceptionnel, c’est aussi l’impact qu'il a eu sur le programme Initiatives-Cœur. Au Cap Finisterre, lorsque Sam a dû affronter des vents de plus de 40 nœuds et une mer démontée, le nombres de “j’aime” de ses pages Facebook et Instagram ont explosé, générant ainsi suffisamment d'argent pour payer les opérations à 84 enfants nés avec une malformation cardiaque grave. C’est un succès énorme dont Sam peut être très fière. « Je trouve cela dingue d'avoir un projet sportif de haut niveau qui se bat aussi pour une cause, »se réjouit-elle. « D'une certaine manière, c'est grâce à cet engagement que j'ai pu accepter de finir mon tour du monde. J'ai choisi de repartir hors course pour continuer à collecter des fonds car il est évident que si j'avais choisi de faire demi-tour et de rentrer en France, cela n’aurait pas permis de récolter autant d’argent que nous avons réussi à le faire en partageant cette folle aventure ».

Au total, ce seront plus 100 enfants qui pourront être sauvés lors de son retour à terre demain et certains devraient même être présents sur le ponton des Sables d’Olonne. Isabelle Autissier, qui sait ce que c'est que de réaliser un tour du monde hors course (elle l’a fait en 96), accompagnée d’Isabelle Joschke, qui vient aussi de finir son aventure, seront également présentes pour accueillir la Britannique. Sam et Isabelle sont de grandes amies et concurrentes sur l’eau. Elles ont beaucoup aimé partager une partie de leur navigation, même si elles n’ont jamais pu être assez proches pour se voir. « C'était agréable d'avoir quelqu'un de proche, si quelque chose se passait. C’était aussi l’occasion d’échanger sur les routages et de parler de beaucoup de sujets finalement, »confie Sam. Elle et Isabelle étaient fières d'avoir terminé leur voyage et de faire partie du groupe de six femmes qui ont pris le départ de ce Vendée Globe et qui sont toutes en bonne voie pour terminer (Alexia Barrier est attendue dimanche à bord de TSE-4MyPlanet).

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« On profite d’un peu de « girl power » ! Nous avons essayé de montrer de la résilience, de l'engagement et de la motivation pour honorer ce que nous avons commencé ainsi que pour nos équipes et nos sponsors. »

Ed Gorman / IMOCA (traduit de l’Anglais)