Jeremie Lecaudey BPCE   A005 08272123 S020

Voici l’heure où les premières étraves dépassent l’antiméridien, ligne fictive située à la longitude 180 degrés marquant le début de chemin retour aux Sables d’Olonne. Les 27 IMOCA encore en course continuent de batailler à différents niveaux, mais avec tous le même objectif : finir.

Le résultat qu’ils livrent sur ce Vendée Globe aujourd’hui, ils le doivent, certes à eux-mêmes, mais aussi à leurs remarquables équipes à terre. Tous ces maillons indispensables au bon fonctionnement et à l’évolution de chaque projet révèlent le caractère collectif de cette course en solitaire. A la tête de ces équipes, souvent une personne, un(e) chef(fe) d’orchestre capable de concilier la performance sportive avec la gestion technique et la relation avec les partenaires.

 

“ Je suis une tour du contrôle ”

Les profils des team managers diffèrent en fonction des équipes, de leur taille, de leur budget et de leur structure. Parmi des dizaines de missions, une demeure commune à tous : être un chef d’entreprise. Interface avec “le reste du monde”, Anne Combier, directrice de projet depuis 30 ans, est le lien entre Yannick Bestaven et la Direction de course, l’équipe technique, l’attaché de presse, le médecin et le sponsor. Selon elle, le team manager doit être une tour de contrôle. “ Le team manager, c’est quand même le bras droit du skipper, mais on a plusieurs bras droits chez nous. Il y a tout d’abord Jean-Marie Dauris qui est directeur technique et sportif, Stanislas Delbarre le boat Captain, Antoine Connan l’ingénieur qui est connecté 24h/24, Caroline Muller qui gère la communication, etc. Mon rôle au départ est d’être la directrice générale du projet et de gérer tous les aspects de l’entreprise que ce soit de la finance, de la comptabilité, le lien avec les sponsors, la préparation de l’arrivée, l’administratif, etc. Je sais faire plein de choses, mais je suis entourée de plein de spécialistes. Je valide un tas de choses, que ce soit un achat de voile ou un article pour la communication, et je pense que tous les teams managers qui font ce métier depuis des années gèrent également cela, mais je ne sais pas si c’est encore la même chose dans des projets plus jeunes. ”

 

C. Breschi Anne Combier© BRESCHI

 

Benjamin Dutreux, outsider sur ce Vendée Globe, fait partie des projets plus récents qui ont une structure quelque peu différente. Avec un bateau de 2007 qu’il surnomme “papy” et un budget restreint, l’équipe OMIA - Water Family gère ce projet “en famille”. Il y a d’un côté la partie technique dirigée par Thomas Cardrin et de l’autre “tout le reste” géré par la meilleure amie de lycée de Benjamin, Alice Potiron. “ Mon rôle est beaucoup porté sur la technique et la logistique du bateau. Je coordonne les membres de toute l’équipe technique. Nous sommes peu, sur le chantier d’hiver nous étions trois plus quelques intervenants et sur la préparation du Vendée Globe, des amis et des stagiaires sont venus nous aider. Tout du long, mon rôle était de faire en sorte que tout le monde ait du travail et que ce travail soit bien fait. Alice de son côté fait tout le reste ! ”explique le boat captain du bateau. De son côté, Alice Potiron coordonne le projet dans sa globalité : “ monter un projet est particulier, je fais en sorte qu’il soit cohérent entre nos partenaires financiers et l’association Water Family qu’on soutient depuis 2017-18 et dont je coordonne aussi l’antenne vendéenne. Je gère également tous les autres partenaires qui nous soutiennent, la communication, la logistique et beaucoup d’autres choses essentielles au bon fonctionnement de l’équipe. ”Cependant, le skipper de l’île d’Yeu n’est jamais bien loin “ C’est Benjamin qui chapeaute son projet, il l’a monté, il a aussi toutes les facettes de team manager et il coordonne tout. ”

 

DSC08407 1© Charles Drapeau ILP Vision

 

Une pression à tous les niveaux

Pour les marins, la compétition est une pression. C’en est aussi une pour les team managers. Seul à comprendre les contraintes du bateau et les requêtes de tous à terre, il doit jongler pour être en mesure de satisfaire au mieux toutes les demandes. Finir la course, éviter les avaries, aider aux réparations quotidiennes, voire même gagner, tant de choses qui imposent une pression différente selon les objectifs de départ. Ronan Lucas, directeur du team voile Banque Populaire, était déjà présent en 2016 avec Armel Le Cléac’h. Projet gagnant il y a quatre ans, l’objectif est tout autre pour ce Vendée Globe 2020. La pression n’est pas la même. “ Je ne vais pas dire que nous n’avons pas de pression car nous avons la pression de finir et c’est quelque chose d’important, mais les cartes ne sont plus entre nos mains depuis le départ des Sables d’Olonne. On a fait notre maximum pour préparer le bateau et Clarisse. Mais ce n’est pas la même chose de vouloir terminer le Vendée Globe ou de vouloir le gagner. Le gagner, c’est une pression sans cesse sur les épaules du skipper mais également de l’équipe car à chaque mille que le bateau de tête perd on s’inquiète et on se demande ce qu’il se passe à bord, s’il n’y a pas de souci, on a même tendance à se faire le scénario du pire. Cette année c’est différent. Clarisse a eu très peu d’avaries depuis le début. Certes, dès qu’elle a un petit problème on a peur que ce soit un peu plus grave mais ce n’est pas la même pression que lorsqu’on n’a pas le droit de perdre un mille." 

 

Une aide mentale tout au long de la course

Seuls depuis plus de 40 jours, les marins accumulent la fatigue au gré des jours qui passent et des manœuvres qui s’enchaînent. L’énergie positive n’est plus toujours au rendez-vous. Pour les aider, ils peuvent compter sur leurs équipes. Disponibles 24h/24, 7j/7, elles sont toutes en veille pour rassurer les marins qui ne parviennent pas toujours à rester lucide en toute circonstance, comme c’était le cas lors de la recherche de Kevin Escoffier le 30 novembre dernier. En effet, les teams managers des bateaux déroutés étaient, cette nuit-là, connectés et aussi stressés que leurs marins à bord. L’événement fut très déstabilisant pour les skippers en mer. “ L’événement qui nous a le plus bouleversé sur cette course est le sauvetage de Kevin. On était tous très stressés jusqu’à ce que Jean le récupère. Après cela, notre rôle a été de reconstruire Yannick, il était complètement cassé et déstabilisé. Il a mis 24h à s’en remettre, il a repris confiance en son bateau aussi car ça marque un bateau qui coule ” confie Anne Combier.

Les team managers sont aussi le lien entre la mer et la terre. En fonction de la personnalité du skipper, il faut s’adapter. Certains aiment le solitaire et n’ont pas besoin de communiquer avec leur équipe qu’en cas d’urgence ou de problème, et d’autres sont, à l’opposé, très demandeurs de nouvelles de la terre, comme Benjamin Dutreux, “ On lui parle plus de cinq fois par jour je pense. Ce n’est pas un solitaire à l’état pur, tant qu’il y a une course, ça va, mais s’il n’y avait pas de course ça serait plus compliqué. Il a besoin de rester connecté à la terre, de savoir comment va l’équipe, si les partenaires sont contents. On a plutôt tendance à vouloir le laisser dans sa course, mais ça lui fait du bien de savoir et nous, de ne rien lui cacher. C’est un chef d’entreprise. Il a la tête dure ! ” confient Alice Potiron et Thomas Cardrin. Des petites équipes de 3 personnes aux grandes équipes de 15, le lien avec la terre fait partie intégrante du bien-être du skipper et de la performance.

Marie Launay / IMOCA