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Après 9 000 milles de course, et plusieurs journées à progresser avec un vaste anticyclone, en naviguant à vue et à l’AIS, les concurrents de The Ocean Race, viennent de changer de braquet.

Ils plongent à haute vitesse vers le cap Horn qui devrait être doublé le 27 mars. Le Pacifique a décidé de se fâcher. Une dépression aussi étendue que nerveuse propulse les marins vers la pointe méridionale de l’Amérique du sud. Le Horn, surnommé aussi le cap des tempêtes par les équipages des clippers lors de la ruée vers l’or à la fin du XIXème siècle, n’a jamais aussi bien porté son nom. Le week-end s’annonce spécialement brutal.

Trempé de la tête aux pieds après un changement de voile d’avant dans la « plume », Paul Meilhat, le skipper de Biotherm, assis en position du Lotus sur un strapontin du cockpit, raconte : « il fait gris et froid, et l’on n’a pas vu beaucoup le soleil depuis deux semaines. Après avoir systématiquement buté dans les hautes pressions avec des vents modérés… on vient de changer de décor, rattrapés par une grosse dépression, une cartouche comme l’on dit chez nous ! Sur les fichiers météo, c’est du vent très soutenu, avec au passage de front des grains violents et de fortes rafales, et surtout une mer grosse, puisque la moyenne de hauteur de vagues annoncée sur les routages est de 7 à 8 mètres… »

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Après une traversée du Pacifique ayant plutôt épargné les vingt marins, l’ambiance à bord est d’une toute autre tonalité. Bien qu’impassible, la Suissesse Justine Mettraux sur 11th Hour Racing Team, a une main sur l’écoute et une autre sur la robuste main courante fixée au plafond du rouf. Et quand on voit les torrents d’eau se déverser sur le cockpit, on comprend aisément pourquoi ce dernier est désormais fermé… Compte tenu de la taille de la dépression, il n’y a pas d’échappatoire, et les navigateurs vont devoir savoir où placer le curseur, afin de trouver la bonne trajectoire sans casser. « Nous étions sous deux ris et petit gennaker » précise Paul Meilhat après que Sam Davies, Damien Seguin et Anthony Marchand aient stocké et sanglé les voiles à l’arrière afin d’éviter qu’elles ne passent à la mer lors des embardées. « Dans un gros planté, la voile d’avant s’est déchirée en deux sur tout le bas. Nous avons pu la rouler puis la ranger dans la soute. De toute façon, elle n’est pas réparable en mer. C’était une première alerte ! »

Côté météorologique, cette partie du globe est l’une des pires. Le passage de Drake, en hommage à l’explorateur et corsaire britannique Sir Francis Drake au XVIème siècle, se situe entre l’Antarctique et la Terre de Feu. Autant dire que ce « goulet d’étranglement » ne mesurant qu’un peu plus de 400 milles, est redouté par les marins. Le vent de sud-ouest soufflant depuis le pôle est glacial et « lourd », donc puissant et méchant, la mer mauvaise et escarpée car n’ayant rencontré aucun obstacle depuis des milliers de milles (le fetch ; ndlr), sans parler du fort courant, et de la remontée des fonds…

Christian Dumard, le météorologue de la course, confirme : « le vent a basculé de l’ouest nord-ouest au sud-ouest, et les bateaux ont empanné les uns après les autres. Ils sont désormais tribord amures après de nombreux jours sous l’autre bord. Il y a beaucoup de mer à venir, beaucoup de vent à l’approche du second front samedi, avec des rafales à plus de cinquante nœuds, soit force 10. L’idée pour les équipages est de rester au nord de la zone des glaces. Le vent devrait commencer à mollir à l’approche du cap Horn dimanche pour un passage le 27 mars, avant une arrivée à Itajaí autour du 1er avril.»

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Chaque semaine, le Breton Ronan Gladu, l’Onboard Reporter de Biotherm, régale d’un billet envoyé du grand large. Extrait : « Nous descendons le long de la limite des glaces : « le mur » comme nous l’appelons à bord, là où Jean Neige (référence à John Snow dans Game of Thrones, ndlr) mène la garde ! Ici la limite est assez basse, nous sommes presque aux latitudes du cap Horn, par 55° sud. Le froid se fait d’autant plus ressentir. Après le quart, les bottes dans le pédiluve gelé (l’eau qui stagne dans le fond du cockpit ; ndlr), c’est long et difficile de se réchauffer les pieds dans le sac de couchage. À l’intérieur comme à l’extérieur, lorsque l’on respire, on voit notre souffle : de la buée sort de notre bouche. De la condensation, de l’humidité suinte des cloisons, de partout… À chaque fois qu’on déplace un sac, le fond dégouline d’eau. Une fois qu’un vêtement s’est gorgé de sel, il ne sèche plus. Dans cet environnement, tout devient poisseux... C’est particulièrement désagréable lorsque qu’il faut remettre bottes, haut et bas de ciré, dans leur jus éternel !»

Charles Caudrelier, trois Ocean Race au compteur, dont deux victoires, notamment lors de la dernière édition comme skipper sur Dongfeng Race Team, rappelle « que dans ce coin du globe, et par mauvais temps, il faut oublier les adversaires, gérer et préserver son bateau. En outre, en IMOCA, on n’a pas encore trouvé la recette pour bien passer dans la grosse mer. Je pense que ces trois jours avant le Horn vont être longs et pénibles…»

Ce vendredi 24 mars à 8 heures UTC, Team Malizia (Boris Herrmann) et Team Holcim - PRB (Kevin Escoffier), naviguent sur une route plus nord, et donc a priori dans une mer un peu moins forte, volant à plus de 20 nœuds de moyenne. Biotherm (Paul Meilhat) et 11th Hour Racing Team (Charlie Enright), ont choisi une route plus sud, donc plus courte, mais sans doute plus cabossée. Plus de 61 milles séparent le leader allemand Team Malizia, impressionnant d’aisance au portant dans la forte brise, de l’Américain 11th Hour Racing Team.

Source : The Ocean Race