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Sur ce Vendée Globe 2020, Ouest-France et la Classe IMOCA vous proposent une série de sujets techniques mais pédagogiques. La question du jour : Comment calcule t-on la route la plus courte, en bateau, sur la terre qui est sphérique ? Voici la réponse en détail par René Boulaire, chef jaugeur de la Classe IMOCA, et professeur au CNAM.

René Boulaire, comment calcule-t-on la longueur d’un Vendée Globe, et celle réellement effectuée par un skipper ?

En préambule, faire un tour du monde comme le Vendée Globe, c’est effectuer une route à travers les différents océans, que sont l’Océan Atlantique suivi de l’Océan Indien et l’Océan pacifique, pour terminer à nouveau par l’Océan Atlantique.

Alors existe-t-il plusieurs routes à travers les océans ?

Oui bien sûr, une infinité même. Mais il existe sûrement une route comme étant la plus courte. C’est comme se déplacer d’une ville à une autre. Plusieurs routes, en général, sont possibles.

Le WSSRC (World Sailing Speed Record Council, organisme international qui ratifie les records à la voile dans le monde) définit, pour un Tour du Monde, une distance minimum de 21 600 milles nautiques. On verra par la suite d’où vient cette distance. Il dit, d’autre part, que la route ne descend pas en dessous des 63° Sud. Il ne précise pas le point de départ/arrivée mais il indique la façon dont le parcours devra être effectué.

Cela sert aussi à établir les classements du Vendée Globe ?

J’ai à plusieurs reprises utilisé cette distance pour gérer la progression des multicoques sur des records autour du monde. Mais ceci n’est pas adapté pour les classements d’une course avec une flotte de bateaux telle que le Vendée Globe, où le rang des bateaux est basé sur la longueur de la route restante jusque l’arrivée, ainsi que les écarts entre bateaux. Il y a nécessité à avoir une définition de route au plus près de ce que sera la vraie route des bateaux en course.

Dans cette approche des choses, la notion de route (de parcours) que les bateaux vont suivre constitue bien la base des écarts entre les bateaux et du classement. En dehors de tout classement, la simple observation des bateaux sur une cartographie donne une idée assez précise du classement et des écarts.

Sur les premiers Tour du Monde comme le Vendée Globe en 1989 ou même les transats, à l’époque, les outils informatiques, ainsi que l’automatisation des tâches, était moins poussée. Nous disposions de la localisation par les balises Argos, accompagnée par un classement informatique Argos que nous corrigions pour s’approcher de l’observation réelle.

Un point à ajouter, lorsque la route fait contourner le pôle (Nord ou Sud), plus la route est proche du pôle et plus cette route devient courte, pour en faire le contournement. Et inversement, plus la route sera loin du pôle et plus la route sera longue, pour être à son maximum au niveau de l’équateur.

Et la longueur du parcours alors ? 

Oui, revenons à la question posée concernant la longueur du parcours. Au plus simple, le parcours correspond à la longueur d’un fil que l’on tend et qui touche tous les points (les waypoints) qui définissent le parcours, ainsi que les côtes (ça peut être des pointes qui correspondent aux continents, des îles à contourner, toute chose qu’il faudra éviter ou contourner comme étant une zone interdite ou autre, etc.) de façon à pouvoir naviguer avec suffisamment d’eau pour effectuer ce parcours.

Ceci définit un parcours a minima, mais qui ne sera pas celui suivi par le bateau, car un bateau à voile utilise le vent pour avancer. La stratégie consiste à rechercher le meilleur endroit sur l’eau en fonction du vent, qui est une conséquence des dépressions et des anticyclones pour atteindre l’objectif dans le plus court temps. L’idée est donc de contourner, ou traverser dans certains cas, ces phénomènes météorologiques pour bénéficier de la meilleure vitesse pour progresser vers l’arrivée. La route choisie a aussi pour but de préserver le bateau, car aller vite c’est bien, mais il faut arriver aux Sables d’Olonne. C’est ça la victoire de l’aventure.

Comment sont calculées les positions de chaque bateau ?

Concernant la longueur du parcours effectuée par chaque bateau, il suffira de cumuler la distance entre chaque point de localisation. Il faut voir le parcours suivi par le bateau comme une succession de points de localisation distants, suivant le paramétrage, de 15 minutes à 30 minutes en général.

Les balises de localisation satellitaires actuelles (de type communication Iridium) sont capables de retourner, au mieux, une position toutes les minutes. Oui, nous pourrions vivre la course en temps réel sans aucun blackout.

Les organisateurs du Vendée Globe ont donné assez tardivement la longueur du parcours, car elle est liée au périmètre de la zone d’exclusion antarctique. Comment détermine-t-on cette zone ?

La zone d’exclusion est une zone dans laquelle les bateaux ne doivent pas naviguer. C’est une zone interdite.

Les Instructions de course du Vendée Globe définissent la « La Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA) ». C’est une zone dans laquelle il peut y avoir des glaces. Un travail est mené par la direction de course du Vendée Globe avec les compétences de CLS (filiale du CNES, Société spécialisée dans la fourniture de solutions d’observation et de surveillance par satellites du globe), pour prévoir les zones à risques où peuvent se trouver et dériver des icebergs.

Sachant que ces glaces sont mobiles suivant les courants, les vents, il est nécessaire de déterminer cette zone le plus tard possible par rapport au départ prévu des bateaux. CLS effectue une étude de localisation et d’estimation des mouvements des glaces pour la période où les bateaux navigueront dans les zones du Sud. Ensuite il est mis en place une limite de sécurité à ne pas franchir, qui est formée de points qui jalonnent cette zone. Chaque point est relié par une ligne virtuelle à ne pas franchir. Chaque skipper trace sur le système de navigation du bord cette limite comme étant un trait à ne pas franchir. Le bateau est localisé GPS en permanence sur la cartographie du bord avec une grande précision (meilleure que la localisation GPS à terre, pas de problème de masquage, de réverbération, etc.).

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En fonction de zone d’exclusion, comment calcule-t-on la distance ?

Connaissant la zone d’exclusion, le parcours est simple à construire dans la mesure où la zone d’exclusion devient la limite Sud du parcours. Il faut se souvenir que le parcours est plus court si les bateaux passaient dans cette zone. Malgré tout, il existe quelques autres difficultés pour déterminer ce parcours.

Après le départ des Sables, la route la plus courte passe au plus près des côtes Ouest de l’Afrique, pour contourner le Cap de Bonne Espérance. Mais ce n’est absolument pas la bonne route, car les bateaux ne longeront jamais les côtes africaines. On se souvient que le classement a un sens si la route utilisée pour faire les classements est aussi proche que possible de la route suivie par les bateaux.

Il faut être attentif à positionner la route correctement par rapport aux Açores, puis les îles du Cap Vert. La grosse difficulté sera la zone de Sainte-Hélène (anticyclone de Sainte-Hélène), qu’il faut souvent contourner largement par son Ouest, et qui rallonge énormément la route.

Une mauvaise gestion de cette zone rend les classements non significatifs, car la route directe cherche à partir très rapidement dans l’Est pour retrouver le Cap de Bonne-Espérance. La suite du parcours dans les mers du Sud est simple à mettre en œuvre. Elle est juste limitée par la zone d’exclusion à laisser à tribord, qui définit le parcours jusqu’au Horn qui devra être laissé à bâbord, et qui définit le waypoint à laisser à bâbord avant de remonter dans l’Atlantique. La dernière difficulté pour construire le parcours sera l’Atlantique Nord, ou couramment la route passe dans la région des Açores, ce qui n’est la route directe.

C’est quoi l’orthodromie ?

Ayant défini l’ensemble des points (waypoints) qui définissent le parcours, nous faisons un calcul pour cumuler l’ensemble des segments qui relient tous les waypoints du parcours. Un segment est une distance d’un arc de cercle sur le globe. C’est la route la plus courte, appelée route orthodromique, entre les 2 waypoints qui encadrent ce segment.

Je rappelle que nous sommes sur une sphère, avec toute la complexité que ça représente, et nous ne pouvons considérer que le jeu se déroule sur un plan.

Comment calculez-vous le classement d’un concurrent, sachant que son port d’arrivée est dans son « dos » ?

La réponse peut être simple ! S’il fait une route non rapprochante, sa distance à l’arrivée augmente, même s’il a une vitesse sur l’eau importante.

C’est pour cette raison que nous accompagnons la vitesse du bateau sur le fond (dite vitesse GPS) d’une deuxième vitesse, qui est la vitesse rapprochante vers le but, ou vers la prochaine marque à atteindre (appelée VMG, Velocity Made Good).

On parle souvent de vitesse VMC (Velocity Made on Course), qui représente la meilleure vitesse de remontée au vent, ce qui est vraiment autre chose. Même si VMG et VMC peuvent être identiques dans certaines conditions de vent. Je conçois que c’est un peu une affaire de spécialiste ! Je rappelle juste qu’un voilier ne peut pas faire route directe sur la prochaine marque du parcours, si le vent souffle depuis cette prochaine marque vers le bateau. Il atteindra cette marque par une navigation sous forme de louvoyages tactiques, et les notions de vitesse réelle, de VMG, de VMC prennent tous leurs sens.

Vg2020 20201105 fleet start9154 haute dfinition vi© © Jean-Marie Liot / Alea

Comment connait-on la route réellement parcourue ?

La route orthodromique est la route définie par l’ensemble des waypoints et zones d’exclusions qui forment le parcours théorique. C’est la route la plus courte possible sur la sphère (le Globe). C’est la direction de course qui fixe cette route. Un concurrent ne pourra pas faire une route plus courte.

La route réelle parcourue par un concurrent est le cumul des longueurs orthodromiques entre chaque point de localisation GPS du bateau. C’est une longueur sur le fond. Le bateau aura peut-être sur la surface de la mer parcouru encore plus de distance, car la mer n’est pas immobile et les courants au large peuvent être importants.

L’unité de distance est le mille nautique appelé aussi mille marin. Ceci correspond à 1852 mètres, ce qui représente 1 minute de latitude (1 852 mètres).

Le tour complet représente : 1x 60x 90 x 4 = 21 600 milles nautiques

C’est la distance la plus courte pour faire le tour du globe, si le globe est une sphère parfaite !

Un vainqueur de Vendée Globe a-t-il parcouru moins de distance que les autres ?

Si nous prenons le Vendée globe 2012, François Gabart avait parcouru 27 491 milles nautiques, alors qu’Armel Le Cleac’h, en seconde position, avait parcouru 27 158 milles nautiques.

En 2012, la différence était de 1 500 milles nautiques entre la route la plus courte, parcourue par Armel Le Cléac’h, et celle d’Alessandro di Benedetto, qui avait parcouru 28 658 milles nautiques.

En 2016, nous avions aussi 1 500 milles nautiques d’écart. Sauf pour le skipper hollandais qui avait fait 2 650 milles nautiques de plus par rapport à la plus courte route, celle de Jérémie Beyou, troisième de cette édition. Le vainqueur de cette édition parcourt 350 milles nautiques de plus que le troisième.

On voit bien que la route la plus courte n’est pas la plus rapide. Il faut aller chercher les bons vents, c’est le jeu délicat sur un voilier en course.

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Et Argos c’est quoi ?

Un petit peu d’histoire. On peut associer un mot à la localisation des bateaux en course : Argos.

Argos était l’outil proposé par la société CLS pour la localisation par satellites.

Il reste un système extrêmement utilisé aujourd’hui dans le monde pour des applications spécifiques, en particulier lié à l’environnement (localisation d’animaux marins par exemple). Il ne fait pas appel au système GPS, il a une très faible consommation et est miniaturisé (émetteurs miniaturisés de moins de 5 grammes), ce qui le rend très spécifique.

Nous avons démarré avec ce système dans les années 1980 sur l’ensemble des courses océaniques, jusqu’à l’arrivée du GPS, qui s’est intégré dans les balises et à modifier la façon de faire.

Si aujourd’hui nous choisissons la modification instantanée de l’intervalle de positionnement pour accéder à une localisation par satellite chaque minute, à l’époque nous devions attendre que le satellite soit en approche de la balise embarquée sur le bateau.

À ce stade commençait la localisation de la balise qui se poursuivait lors du déplacement du satellite. Cette façon de procéder mettait en œuvre un principe physique appelé « Effet Doppler », qui permettait une précision de localisation dans un rayon de 500 mètres. Nous disposions d’un indicateur de précision dans le flot de données. Ainsi, le satellite récupérait dans son passage l’ensemble des balises mais pouvait très bien ne pas voir l’ensemble de la flotte. Nous disposions d’une prédiction de passage des satellites et nous savions à quel moment les satellites Argos allaient récupérer la flotte. Ensuite, le flot de données était retourné à terre quand le satellite passait au-dessus des stations dédiées à la collecte des données. Tout cela était connu dans des documents et les classements étaient organisés autour du système Argos, qui a marqué son temps.

Dès que le GPS est arrivé, tout a changé ! Le GPS apporte une localisation instantanée, il suffit juste de transmettre à terre cette localisation, en passant par les satellites d’Inmarsat ou Iridium.

Iridium Certus

Et les cartographies informatiques ?

Le web a permis les cartographies interactives. Avant le web, c’était la carte papier avec les punaises qui représentaient chaque bateau. Avec cette méthode ancienne, les écarts qui étaient donnés étaient bien plus pertinents que ce qui est fait aujourd’hui, car ils étaient évalués de façon tactique par des coureurs, des tacticiens. C’est sans doute plus réaliste qu’un algorithme informatique basé sur le waypoint suivant. En 2008, j’avais imaginé dans l’algorithme de calcul, l’introduction des waypoints mobiles, pour mieux ajuster les classements. Cette technique est toujours utilisée.

Source : Ouest France / IMOCA