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Dans le troisième volet de notre saga, l’IMOCA et The Ocean Race reviennent sur cette aventure humaine titanesque, à la fois unique et magique malgré sa dureté, et dans laquelle des marins français tels Sidney Gavignet, Jacques Vincent, Pierre Mas, Hervé Jan, Jean-Yves Bernot, Marie Riou et beaucoup d’autres… ont été recrutés par des équipes internationales.

Au fil des éditions, la Whitbread Round the World Race se professionnalise. En 1994 arrivent les WOR60, signe de l’évolution de l’épreuve qui se joue pour la première fois avec deux classements : les maxis IOR et les WOR60. La Whitbread est une aventure humaine absolument unique et de jeunes régatiers issus de la voile olympique ou de l’America’s Cup, n’hésitent plus à candidater.

Marc Pajot ouvre la voie 

Un Français fait partie des précurseurs et va faire école. Lors de la première édition en 1973, ce jeune Baulois, âgé de vingt ans, médaillé d’argent en Flying Dutchman aux JO de Munich un an auparavant, rêve de large, souhaite « sortir de sa zone de confort » et découvrir la vie en équipage. Il se nomme Marc Pajot et a décidé d’écrire à Eric Tabarly pour lui proposer d’embarquer sur Pen Duick VI, précisant qu’il n’a pas la moindre expérience du large, mais est un compétiteur. Tabarly déclare alors qu’un « gars qui a été vice-champion olympique à 19 ans, sait normalement régler et barrer… » et embauche le jeune champion.

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Le plus international des Frenchies

Lui se nomme Sidney Gavignet et va, après une première Whitbread sur La Poste en 1994 avec Éric Tabarly, enchaîner trois éditions de la course, désormais baptisée Volvo Ocean Race, au sein d’équipages internationaux : les Suédois d’Assa Abloy en 2001, les Néerlandais d’ABN AMRO ONE en 2005 et les Américains de Puma en 2008.

Avec Jacques Vincent, il est l’un des premiers marins français à être enrôlé par des équipages étrangers. « Après mon premier tour du monde sur La Poste, je fais beaucoup de match race… » se souvient Sidney. « Suite à un championnat du monde en Croatie avec le Néerlandais Roy Heiner, je lui parle de mon souhait de refaire la Whitbread. Quelques semaines plus tard, j’intègre l’équipe d’Assa Abloy. La porte s’est alors ouverte… » Quand un marin français débarque au sein d’un équipage international, il traîne avec lui un certain nombre de clichés. « Cela va partir du déjeuner d’équipe où tu as envie de prendre ton café dans le canapé jusqu’aux vannes classiques sur le goût français pour les condiments accompagnant les plats lyophilisés. C’est là que tu te rends compte que tu es Français… et fier de l’être, » précise Sidney qui reconnaît qu’il a toujours également été attiré par la gestion rigoureuse de projets à l’anglo-saxonne.

VOR13343 Rick Tomlinson Volvo AB© Rick Tomlinson/Volvo Ocean Race

On s’arrache les bons barreurs et régleurs issus de l’Olympisme et de l’America’s Cup

« A cette époque (en 2001), si les équipages ont déjà une approche très professionnelle, il y a encore des profils à bord qui ont tous une spécialité technique mais qui ne sont ni très bons barreurs ni régleurs. » Sidney est réputé pour ses qualités de barreur, tout en ayant une grosse capacité de concentration sur la durée et sachant s’adapter aux conditions de vie monacales à bord.

Jacques Vincent fait lui partie de ces « mercenaires » des tours du monde totalement incontournables qui n’ont pas besoin d’adresser un CV au team manager et skipper. L’ancien équipier de Bruno Peyron dispute sa première Whitbread en 1989 sur le maxi ketch The Card, skippé par le Suédois Roger Nilson, avec également à bord Johan Salén, l’un des actuels patrons de la course. Le Français embarque ensuite en WOR60 sur Tokioavec Chris Dickson en 1993, avant de faire deux éditions avec le Norvégien Knut Frostad, en 1997 sur Innovation Kvaerner puis en 2001 avec Djuice Dragons, et systématiquement comme chef de quart. On s’arrache donc les bons barreurs capables de surfer des heures sous spi dans les mers du Sud.

Quant à Pierre Mas, il va lui disputer deux éditions comme barreur et chef de quart, avec Laurie Smith sur Intrum Justitia puis Knut Frostad sur Innovation Kvaerner. Hervé Jan est également très courtisé et court cinq éditions consécutives entre 1989 et 2002, systématiquement sur des bateaux battant pavillon étranger. Le routeur Jean-Yves Bernot est également enrôlé au poste stratégique de navigateur. La Volvo Ocean Race est alors un passage quasi obligé.

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Considérés comme des « fous-furieux » par les vétérans

« L’humain sur une course autour du monde en équipage, ce n’est pas important, c’est juste essentiel » explique Sidney Gavignet. « L’on cohabite dans un espace exigu, bruyant, humide et puant durant neuf mois… Quand Paul Cayard (ancien champion du monde de Star et quatre campagnes de America’s Cup) est arrivé à bord en 1997 pour devenir skipper de EF Language, il n’était pas forcément le meilleur coureur au large et n’avait jamais passé plus de trois nuits en mer. Mais c’était un vrai leader et il a tout de suite fait l’unanimité… »Et dès sa première participation, le Franco-Américain remporte l’épreuve.

Véritable icône au Brésil, Torben Graël, quintuple médaillé olympique, laisse manifestement la même impression lors de ses deux participations avec une troisième place et une victoire, respectivement sur Brasil 1 et Ericsson4. Bien entouré également, le Brésilien est un leader charismatique, qui sait aussi lâcher du lest dans les moments de tension. Tous ces champions d’exception viennent d’abord faire le tour du monde pour le gagner. Ils apportent une vision nouvelle, mènent leur bateau exactement comme autour de trois bouées, sont souvent considérés comme des « fous furieux » par les vétérans de la course.

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Des bottes transformées en sandales…

Appelé à la rescousse - le sponsor suédois Intrum Justitia ayant remplacé Roger Nilson, officiellement car il doit se faire opérer d’un genou, officieusement après un début de course peu convaincant - Lawrie Smith casse les codes. Non seulement, il devient l’unique skipper à avoir disputé la même Whitbread 1993-1994 sur deux bateaux différents… mais établit un nouveau record de distance sur 24 heures (428 milles).

Avant de quitter Auckland pour Punta del Este via le fameux Cap Horn, Smith a demandé à l’équipage de perdre du poids et aussi de ne prendre qu’une paire de chaussures. Les équipiers optent alors pour des bottes en cuir qu’ils vont lacérer et transformer en sandales lors de la remontée vers l’Uruguay, mais dans les cinquantièmes souffrent quasiment tous de graves gelures, les bottes n’étant pas véritablement étanches à cette époque… N’empêche Lawrie Smith et son équipage très cosmopolite remportent cette étape en WOR60.

13 11 180624 asv 0572 8009 3000x3000© Ainhoa Sanchez/Volvo Ocean Race

Du 49er au VO65

« Pour moi, ce sont les Kiwis qui ont ouvert la porte à des jeunes sortant du dériveur. Ce sont eux qui ont imposé cette façon de penser plus horizontale et qui a fait école. Quand j’ai appris que les règles de la Volvo Ocean Race prévoyaient d'avoir un jeune de moins de trente ans à bord de chaque bateau, j’ai trouvé ça juste génial… » Les meilleurs exemples sont sans doute Peter Burling et Blair Tuke, doubles vainqueurs de l’America’s Cup, champions olympiques en 49er et qui, entre deux campagnes, ont disputé la dernière Volvo Ocean Race alors qu’ils n’avaient quasiment jamais fait de large auparavant. Hasard ou pas, le skiff olympique 49er, est un sacré creuset pour les futurs « tourdumondistes ».

Avant eux et également champions olympiques - à Athènes en 2004 -, les Espagnols Iker Martínez et Xabi Fernández, ont brillé lors des courses autour du monde, que ce soit en équipage ou en double, comme lors de la Barcelona World Race 2010-11, le tour du monde à deux sans escale, en IMOCA, terminant seconds sur le plan Farr de Michel Desjoyeaux, premier du Vendée Globe un an plus tôt, et derrière les vainqueurs Jean-Pierre Dick et Loïck Peyron.

The Ocean Race démontre aussi à quel point la mixité prévue dans ses règles ouvre la voie aux championnes olympiques, telles que la Française Marie Riou et la Néerlandaise Carolijn Brouwer, vainqueurs de l’édition 2017-18 sur Dongfeng Race Team mené par Charles Caudrelier, ou encore la Brésilienne Martine Soffiatti-Graël, fille de Torben… et qui avant et après son tour du monde avec team AkzoNobel, a décroché l’or olympique à Rio puis Tokyo.

Quand on interroge Sidney Gavignet sur les conditions de navigation des dernières éditions, avec des équipages noyés sous des trombes d’eau, et des images embarquées de toute beauté, sa réponse est sans équivoque : « La bonne approche, c’est pour moi celle des IMOCA avec des cockpits protégés mais aussi des performances ahurissantes. Il y a tout l’acquis et le bon côté du Vendée Globe qui vont dans ce sens. Je pense qu’ils vont se régaler… Si je devais définir en une phrase The Ocean Race (ex Whitbread, ex Volvo Ocean Race) une course aussi dure que magique, je dirais que c’est un marathon avec une intensité de sprint, en mer mais aussi à terre ! »

13 02 171103 DFG JRL 00365 3000x3000© Jeremie Lecaudey/Volvo Ocean Race