Catching the Port la Forêt express

La flotte des IMOCA60 s’éparpille sur l’Atlantique. Après 4 jours et 4 nuits de course, plus de 500 milles séparent Sébastien Josse (Edmond de Rothschild), solide leader de cette Transat St Barth / Port-la-Forêt de l’Irlandais Enda Coineen (Currency House Kilcullen) et l’écart latéral entre nordistes et sudistes est de 300 milles… À part les trois leaders, chacun évolue dans des systèmes météo différents. Bref, sur une seule et même course, les vécus sont parfois bien disparates…

En tête, dans le front, il y a des skippers professionnels. Méthodiques, ils appliquent et perfectionnent sans cesse les gestes et stratégies mille fois répétés à l’entrainement et lors de leurs courses précédentes. La recherche permanente de performance, voire d’excellence, est leur leitmotiv. Bien sûr, ils ont choisi ce sport par amour de la mer, mais ils restent avant tout des compétiteurs.

Champagne sailing

Sur cette Transat St Barth / Port-la-Forêt, 3e manche du Championnat du Monde IMOCA Ocean Masters, il y a aussi des amateurs éclairés, à l’image de l’Irlandais Enda O’Coineen (Currency House Kulcillen). Pour lui, la course est aussi, voire avant tout, une aventure humaine du « Champagne sailing » dont il savoure chaque instant : « Je suis aux anges ! C’est le plaisir de la course au large porté à son summum ! Piloter l’une de ces Formules 1 des mers est un privilège rare, je savoure… A la mesure de l’une des dernières libertés possibles sur cette planète ! » 

Apprendre et progresser

Le reste de la flotte est bien centré sur la performance… à l’image du Canadien Éric Holden (O Canada) en 6e position « Tout se passe bien, la mise en jambe de ce début de course est facile et agréable, je suis en revanche assez frustré de ne pas avoir réussi à accrocher le même wagon que les premiers, au nord. Il faut que tire le maximum d’enseignements de cette course pour progresser. »

Même constat chez Fabrice Amedeo (Newrest – Matmut) en 5e position : « Il faut juste que j’apprenne la zénitude… En Class40 je naviguais aux avant-postes, là il faut que je me raisonne, l’aventure et le défi prennent le dessus, par rapport à la compétition. C’est un passage obligé, mais je suis heureux sur mon bateau ! »

Thomas Ruyant (La Souffle du Nord) 4e, lui aussi parfaitement à l’aise sur cette découverte du solo en IMOCA60, assume ses choix tactiques et se prépare à la deuxième phase, plus ventée, de cette transat pour apprendre, toujours et encore : « Mon option d’hier ne sera pas rentable, j’ai perdu beaucoup dans l’histoire. C’était une petite prise de risque que j’assume. En approchant du golfe de Gascogne, ce sera plus venté, plus froid, plus physique. C’est qu’il faut pour faire une préparation efficace. »

Au nord, au charbon

Au nord, le trio de tête, toujours composé de Sébastien Josse (Edmond de Rothschild), Paul Meilhat (SMA) et Morgan Lagravière (Safran), carbure pour rester le plus longtemps possible dans le flux de « leur » dépression. Les conditions commencent à être dures, la mer est formée avec 30 nœuds de vent établis. Plus ils « surferont » longtemps sur ce flux de nord-ouest, plus ils gagneront sur la route et plus il sera facile d’accrocher la dépression suivante. Pour cela, il faut mettre du charbon…

https://youtu.be/hhinYpeGje0 

Pour les sudistes, la donne est bien différente puisqu’ils courent encore à côté du train, mais leur embarquement devrait se faire dans les prochaines 24h. 

D’ici la fin de semaine, l’ensemble de la flotte devrait bénéficier d’un flux soutenu (25 à 35 nœuds) de secteur sud. Les dépressions, qui sont autant d’ascenseurs, de « vagues » à surfer, pour les solitaires, devraient s’enchainer jusqu’à l’arrivée à Port-la-Forêt. Comme le disait Thomas Ruyant, cette deuxième partie de course sera plus rapide, plus musclée, plus engageante physiquement et techniquement. 

Mots du large

Enda O’Coineen (Currency House Kilcullen)

« Ce sont des conditions de navigation idylliques : 11 nœuds, J2, grand voile haute, je fais route vers les Açores. J’ai privilégié la route sud qui était plus sûre et plus chaude… Si j’avais eu soif de vitesse, je serais parti plus au nord.

Mais, là je suis littéralement aux anges, loin de ce que l’on appelle la civilisation…  ! Hier, le coucher de soleil était fabuleux, je savoure chaque instant, c’est le plaisir de la course au large à son summum ! Piloter l’une de ces Formules 1 des mers est un privilège rare, je le savoure comme l’une des dernières libertés possibles sur cette planète ! » 

Éric Holden (O Canada)

« Il n’y a pas beaucoup de vent depuis deux jours et ce sera pareil aujourd'hui. Je devrais commencer à sentir les effets de la dépression demain. Cela me permet d’affiner les polaires du bateau dans ces conditions !

Mon J2 est abîmé, je ne peux pas le réparer. Et j’ai eu des soucis d’alternateur, mais je pense que c’est résolu. À part ça tout va bien, tout le travail réalisé sur le bateau me permet aujourd’hui de bien profiter de cette course. Il y a encore une belle liste d’optimisation que j’aimerais réaliser lors du prochain chantier technique cet hiver.

Tout se passe bien, la mise en jambe de ce début de course est facile et agréable, je suis en revanche assez frustré de ne pas avoir réussi à accrocher le même wagon que les premiers, au nord. Il faut que tire le maximum d’enseignement de cette course pour progresser.

Les prévisions météo sont assez instables, il est donc difficile de dire précisément par où sortir de ces petits airs. Il semblerait qu’il faille attendre la prochaine dépression… »

Fabrice Amedeo (Newrest – Matmut)

« Je subis toujours ma configuration de voiles qui m’a obligé à suivre une route sud et donc à serrer l’anticyclone. Il était donc évident que je ne pouvais pas attraper la dépression la plus nord, celle que les premiers sont allés chercher. L’objectif est d’attraper celle du sud. J’ai toujours été sur cette stratégie-là et je m’y tiens. J’ai regardé les différents modèles météo, américains et européens, et c’était pour moi assez clair.

Je sais que c’est le bon wagon à attraper, mais c’est vraiment dur de faire cap vers la Mauritanie ! Il va falloir que je tricote encore 24h le long de l’anticyclone sur ce cap-là avant de pouvoir faire route vers la Bretagne.

Sinon, je suis parfaitement en phase avec tous mes objectifs qui étaient d’être au départ, malgré l’enchainement des deux transats, et de tenter cette qualification en apprenant énormément de cette première navigation en solitaire sur mon IMOCA60.

Il faut juste que j’apprenne la zénitude… En Class40 je naviguais aux avant-postes, là il faut que je me raisonne, l’aventure et le défi prennent le dessus, par rapport à la compétition. Mais je suis heureux sur mon bateau ! »

Thomas Ruyant (Le Souffle du Nord)

« Je suis au petit déjeuner, muesli, chocolat, jus d’orange, tout va bien, c’est comme à la maison !

C’est un peu compliqué côté météo. Les prévisions sont instables. Hier, les modèles montraient la dépression plus nord, c’est pour ça que je suis remonté, ça aurait dû payer. Mais, ce matin, le schéma n’est plus le même. Mon option ne sera pas rentable, j’ai perdu beaucoup dans l’histoire. C’était une petite prise de risque que j’assume. Hier, j’étais en position d’attaquant, aujourd’hui je suis plus en suiveur…

Je suis bien à l’aise à bord. Je prends soin de moi, du bateau. Je soigne aussi les manœuvres, c’est aussi le but de cette transat. Jusqu’à présent les conditions ont été maniables, c’est un très bel échauffement. Le bateau est nickel, la petite réparation sur la grand-voile tient le coup.

En approchant du golfe de Gascogne, la météo va se corser ce sera plus venté, plus froid, plus physique, et c’est bien : c’est ce que nous sommes venus chercher. C’est qu’il faut pour faire une belle transat et une préparation efficace.

Je vais faire les choses simplement, en prenant mon temps pour chaque manœuvre, c’est la clé sur ces bateaux-là, il ne faut pas faire d’erreur. »