Photo: Thierry Martinez

Après son abandon forcé dans la Transat Jacques Vabre, le skipper de Maître CoQ a accepté de revenir avec nous sur les enseignements de cette première semaine de course : sur la casse bien évidemment, mais aussi sur la maîtrise des trajectoires des premiers, sur les nouveaux bateaux et sur les foils. Un entretien sans langue de bois.

 

Les conditions rencontrées pendant cette première semaine de course

« On sait que ce n’est jamais simple de prendre la bonne décision. Néanmoins, on a eu le sentiment de ne pas être entendu par l’organisateur et la direction de course. On savait que ces conditions étaient limites pour nos bateaux. On va nous objecter qu’on va faire un tour du monde avec. Mais la grande différence, c’est que dans les mers du sud, on prend le mauvais temps aux allures portantes, on dispose de marges de manœuvres pour éviter d’aller se mettre dans la situation où on était au départ du Havre. Là, on n’avait pas d’échappatoire. On avait vraiment le sentiment que l’on ne parlait pas de la même chose entre la direction de course et la délégation de coureurs qui était venue.

Personnellement, la décision d’abandonner s’est faite en tenant compte des conditions météo à venir. Compte tenu de nos soucis techniques, on n’a pas voulu aller se frotter à ce qui était annoncé et prendre le risque de compromettre gravement la suite de notre programme. »

Les trajectoires des premiers

« Déjà, il faut imaginer ce qu’est la navigation dans un IMOCA au près. Nos intérieurs sont de plus en plus dépouillés et c’est de plus en plus difficiles de faire sa place dans la cabine. Rien que se mettre devant l’ordinateur et cliquer sa souris devient un effort intense. Le bateau bondit dans tous les sens, c’est vraiment du sport. Sortir une trajectoire proche de la perfection dans ces circonstances relève vraiment de l’exploit. Je connais le niveau de préparation et de connaissances des trois premiers, mais ça ne m’empêche pas d’apprécier la performance. N’oublions pas que dans d’autres séries, comme les Ultimes et les Multi50 les coureurs sont routés. A ce niveau, la trajectoire de Yann et Charlie est exemplaire. Ils ont su se positionner idéalement par rapport au centre de la dépression. Sans oublier que la route nord était celle où les skippers allaient affronter la mer la plus difficile. Mais on a vu que les hommes du sud n’ont pas été épargnés non plus. »

Le rythme

« Derrière le front, ils ont dû naviguer dans une traîne active et on a pu constater qu’ils n’ont pas molli une seconde. Il fallait attaquer face aux vagues, dans une mer casse bateaux pour franchir à temps une dorsale qui se formait. Dans ces moments, pas question de se reposer. Si tu perds le rythme, tu perds la course. »

Le premier bilan des foils

« Avant de casser, Edmond de Rothschild et Safran ont montré qu’ils allaient vite. Et l’on voit actuellement le différentiel de vitesse entre Banque Populaire VIII et ses deux adversaires. Je serais à la place d’Armel, j’aurais le sourire. Savoir qu’on peut déposer ses adversaires les plus dangereux en vitesse pure, c’est un avantage incroyable. Je pense que les foilers vont rester dans cette configuration, c’est une évidence. Pour les autres, on se retrouve dans le cas de figure que je craignais lors des réunions sur la jauge : pour être compétitif, il nous faut lancer un gros chantier l’année du Vendée Globe. »

La casse

« C’est sûr que le bilan est sévère. Après, je pense qu’il ne faut pas tout confondre. La flotte a affronté des conditions pour lesquelles elle n’est pas faite. Plusieurs bateaux étaient en phase de développement et on sait à quel point c’est difficile d’arriver à maturité sur un IMOCA tant ces machines sont compliquées à optimiser et fiabiliser. Ensuite, sur les nouveaux bateaux, je pense qu’il y a la conjonction de deux phénomènes : d’une part, la conduite du bateau n’est pas la même. Quand tu as navigué en multicoque, tu comprends ça très vite : quand le bateau monte sur ses foils, il faut savoir naviguer en souplesse, ne pas charger la mule. C’est une navigation beaucoup plus pointue que sur un monocoque classique. Par ailleurs, je pense que les architectes ont peut-être trop voulu alléger les bateaux : comme on ne pouvait plus jouer sur la quille et sur le mât (qui, entre parenthèses, donnent toute satisfaction en terme de fiabilité), on a peut-être fait des bateaux trop légers. »

L’avenir

« Personnellement, j’ai très envie de faire la Transat Saint-Barth Port-la-Forêt. Ça correspond bien à ce que l’on risque de trouver sur le Vendée Globe, c’est un excellent galop d’essai en solitaire. Maintenant, ça va dépendre de mon équipe et des décisions que l’on prend en terme de chantier. On a un mode de fonctionnement plutôt efficace actuellement : j’exprime mes souhaits en tant que navigateur et on détermine ensemble si c’est raisonnable par rapport à nos capacités techniques. »